» dérable est bâtie tout entière de pierres très-difficiles a travailler. » On ne peut
entendre cette dernière observation que du revêtement, qui en effet, comme on
l’a vu, étoit d’une pierre plus dure que le noyau. Je ne parle pas des dimensions
qu’il donne au monument, comparées à celles que rapporte Hérodote; c’est un
sujet traité ailleurs ; il en est de même de la plate-forme du sommet. Ainsi
qu’Hérodote, il assure que les pierres ont été apportées de l’Arabie : mais il
explique d’une manière beaucoup plus vague le procédé de la construction ; car
on ne peut se faire une idée bien nette des terrasses qui, d it- il, ont servi à
élever la pyramide, et l’on ne peut guère admettre que les Egyptiens aient
ignoré l’art d’échafauder. Sur l’époque de 1 érection de la pyramide, sur le nom
du roi qui l’a ordonnée, sur le nombre des ouvriers qui lont bâtie, Diodore de
Sicile n’est pas plus d’accord avec Hérodote que sur le reste. Il ne s’accorde avec
lui que sur la durée du temps de la construction, sur celle du règne du roi, et sur
la dépense qu’a coûté la nourriture des ouvriers. Comment supposer avec Diodore
que trois cent soixante mille hommes aient été constamment rassemblés sur un seul
point (1) pendant vingt années entières, à côté d’un autre foyer de population
aussi considérable que celui de Memphis. L auteur ne permet pas davantage de
se fixer une opinion sur l’époque du monument, puisqu’il rapporte deux traditions
d’âges aussi différens qu’une date de 1 ooo ans et une date de 3400 ans.
Un des faits les plus importans de sa description, s’il étoit bien constaté, seroit
celui-ci, que hi pyramide s’étoit conservée jusqu a son temps sans etre endommagée en
aucun endroit; car il prouveroit que le monument n’est pas aussi ancien qu’on le
suppose, et que l’absence des signes hiéroglyphiques a une tout autre cause quune
antiquité prétendue remontant au-delà de l’invention de l’écriture. En résultat,
le récit d’Hérodote est plus complet, plus satisfaisant, et plus conforme à la
vraisemblance.
Les rois auteurs de la p r em iè r e et de la d e u x ièm e pyramides sont deux frères
dans l’histoire de Diodore comme dans celle d’Hérodote, et le nom du second
de ces rois y est à peu près le même, Céphren, autrement Chabruis; il régna cinquante
six ans comme le Chéphren d’Hérodote.
Ce que raconte Diodore de la grandeur de la d e u x ièm e pyramide prouve qu’il
ne faut pas chercher la mesure d’un stade dans le côté de la p r em iè r e ; Elle étoit,
dit-il, un peu moins grande que la première, vu que les côtés de la base n avoient qu un
stade de longueur. Cette seconde pyramide étoit sans inscription.
Pour ce qui regarde la t r o i s i èm e pyramide, les deux auteurs s’accordent sur
le nom du fondateur Mycérinus, fils de Chemmis suivant l’un, de Chéops suivant
l’autre. Sa base n’avoit que 3 plèthres de côté, mais elle surpassoit les deux
autres par la beauté de la pierre, savoir, le granit Thébaïque, dont elle étoit construite
jusqu’à la quinzième assise, ou jusqu’à la moitié de la hauteur. Le nom
du roi étoit gravé sur la face du nord, dit Diodore de Sicile. Hérodote ne parle
pas de cette circonstance; mais il insiste sur l’énorme dépense du monument.
(1) On a vu que, selon Hérodote, dix ans de travaux turage des pierres, indépendamment des vingt années
furent spécialement consacrés à l’exploitation et au voi- qu’on employa pour la construction.
Les crois autres pyramides de 200 pieds de côté, citées par Diodore, doivent
être cherchées parmi celles qui sont plus au sud, c’est-à-dire, plus près de Memphis.
Le trait sans doute le plus remarquable de la description de cet auteur est
cette réflexion, que ni les historiens, ni les Égyptiens eux-mêmes, n'étoient-d’accord
entre eux sur les pyramides; et ce qui vient à l’appui, c’est la tradition qu’il
cite et qui les attribue à trois princes dont les noms diffèrent tout-à-fait de ceux
que nous avons nommés. Je ne fais cette remarque que pour montrer combien
il est. difficile, pour ne pas dire impossible, de découvrir par le seul rapprochement
des autorités à quelle époque ont 'été bâties les pyramides, et quels
furent leurs fondateurs. Tout ce qu’il est possible d’en inférer, c’est que l’érection
des monumens étoit d’une très-haute antiquité, puisque les indigènes", comme
les étrangers, étoient incertains sur leur époque et les noms de leurs auteurs.
Cependant Greaves. a consacré à chacune de ces questions une ■ dissertâtidn
que je me borne à mentionner (1); et il n’hçsite pas à fixer l’époque de la fondation
de la grande pyramide. Selon lui; la date est de 1266 à 1216 avaht J. C;
( intervalle qui est la durée dii règne de Chéops ), bu de 490 à 44b ans avant
la première olympiade.
Pour répondre à notre objection sur l’incertitude de lepoqüe des pyramides,
on pourrait dire que les rois qui les. ont fondées avoient plusieurs noms ou
surnoms; qu’ainsi Armæus étoit le même personnage què Chéops; Ammosis, lë
même que Chéphren; et Inaron,le même prince que Mytérinus : mais quelle
preuve apporteroit-on à l’appui de cette hypothèse î La fable de Rhodope vient
ajouter encore à l’incertitude : déjà reçue au temps d’Hérodote, et réfutée par
cet historien, nous la voyons reproduite par Diodore de Sicile, quatre siècles
après, comme une tradition adoptée par un certain nombre. Quelle confiance est-
il donc possible d’avoir pour le reste de l’histoire des rois qui bâtirent les pyramides!
Tout ce qui regarde ces rois et lëurs actions semble être devenu le
domaine de la fiction et l’aliment de la crédulité. La description matérielle des
monumens est la seule partie de ces récits qui puisse supporter la critique et la
discussion. Nous avons déjà retrouvé sur les lieux la plupart des traits des descriptions,
soit d’Hérodote, soit de Diodore; la comparaison des autres auteurs
nous offrira unè conformité non moins satisfaisante.
D’après ces réflexions, nous ne devons pas nous arrêter à l’accusation de
tyrannie et de violence qui pèse sur la mémoire des rois auteurs des pyramides,
pas plus qu’à l’historiette du berger Philiton, ou à la vengeance du peuple irrité
qui ne permit pas que le corps de Chéops ou Chemmis fût déposé dans sa
pyramide, ni celui de Chéphren dans la sienne ; comme si, après setre révolté
contre Chéops et l’avoir privé de son tombeau, ce peuple avoit pu souffrir le
même joug pendant cinquante-six autres années, pour se venger encore envers son
successeur de la même manière! Nous ne verrons dans cès récits confus et contradictoires
que l’ignorance où l’on étoit au temps des Grecs, où plutôt celle
où on les a laissés de cette partie des annales Égyptiennes.
( i ) Greaves, Pyramidograph. pag. 16 et i.