se civilisèrent, en adoptant les moeurs Égyptiennes (i). Diodore, qui raconte le
même fait, J’attribue à une autre cause ( 2 ) ; savoir, que Psammétique donnoit la
préférence aux troupes étrangères sur l’armée nationale : mais il affirme aussi que
plus de 2 0 0 mille soldats Égyptiens se rendirent en Éthiopie et s’y établirent. Ainsi
que Zoéga, je regarde le nombre de ces réfugiés comme exagéré, tant le pays au-
dessus d’Éléphantine est difficile et aride, et pour d’autres motifs encore. Mais le
fait de l'émigration des Égyptiens ne peut être révoqué en doute : les anciens géographes
et les écrivains qui ont traité de l’Éthiopie, ont presque tous rapporté ce
fait (3); Je nom meme des Automoles (cest-à-dire transfuges), qu’on a donné à ce
pays, consacre le souvenir de l’exil volontaire de l’armée Égyptienne. Rien d’ailleurs
nest plus conforme a 1 état où se trouvoit alors le pays, livré aux guerres intestines
qu avoit amenees la dodecarchie. La protection accordée par Psammétique
aux étrangers, repoussés jusque là par les lois et les anciens usages, étoit un grave
sujet de mécontentement pour ceux qui tenoient aux souvenirs de la vieille gloire
nationale. Diodore le fait assez entendre dans le passage que j’ai cité.
Il paroit bien probable, par les nombreuses constructions élevées en Nubie, que
les hommes dont je parie s y établirent, soit à cette époque, soit dans la suite, y
éleverent des temples a 1 instar de ceux d’Égypte, et creusèrent les rochers, comme
avoient fait leurs ancêtres à Thèbes et à Memphis.
Le lieu qui a succédé a Adulis renferme des vestiges dont l’âge n’est pas bien
connu. J incline à penser que ces ruines appartiennent à l’époque de ces colons
Égyptiens. Mon sentiment est fondé sur un passage de Pline qui atteste que la
ville d’Adulis, port de mer sur la mer Rouge, fut bâtie par des esclaves sortis de
l’Egypte (4). Dans le passage déjà cité, Hérodote rapporte que les transfuges por-
toient dans leur langue le nom d Asmach, nom que plusieurs regardent comme le
même qu’Axum; cette dernière ville est à plusieurs journées des restes d’Adulis.
Toutes ces autorités prouvent qu’un grand nombre d’Égyptiens ont passé en Éthiopie
: or, nécessairement, ils ont traversé d’abord la Nubie, ils ont dû y séjourner, et
sans doute y bâtir selon le goût de leur pays.
Mais tous ces monumens ne peuvent prouver que l’architecture de l’Égypte,
que ses arts, que le style de ses ouvrages sont un présent de l’Éthiopie supérieure :
les deux climats sont différens, les productions végétales ne sont pas les mêmes;
enfin les principales plantes que les architectes Égyptiens ont imitées si souvent,
ont introduites dans la décoration avec tant de goût, le lotus, le papyrus, la
vigne, &c., ne se trouvent point dans cette haute région; le roseau, le dattier même,
y sont rares. On a pu porter jusqu’à ces rives des arts tout formés et déjà perfectionnés;
mais leurs habitans n’ont pu établir sur les bords du Nil inférieur des arts
(1) Tovrar Si im i d v w is n ik A/8/oSaf, i/afieneyi servations du savant M. Sait, touchant une colonne évidem-
ytynam Ai'0/ûtïî-, h Sia paSomç Aiynrna. ( Lib. i l , cap. 30.) ment Égyptienne trouvée sur le rivage opposé à Masouah,
(2) Lib. 1 , cap. 67. - et apportée d’un endroit voisin du fond de la baie An-
(3) Voyez Aristot. Rhetor. lib. I I I ; Plin. lib. V I , neslay. O r cet endroit s'appelle ZeyU et [Azoull;
cap. 30; Strab. lib. x v n , pag. 786; Plutarch. deExsilio. auprès de ce lieu sont des mines considérables de bâti-
(4) Oppidum Aduliton. Ægyptiarum hoc servi à dominis mens et de colonnes avec des pierres taillées, de quatre à
profugi condideie. (Lib. I, cap. 29 .) - cinq pieds de large. (Sait, Voyage en Abyssinie, p. 451
■Cette.conjecture est pleinement confirmée par les ob- etsuiv. ; Londres, 1814.)
«
d e l’Ég y p t e a n c i e n n e e t m o d e r n e . i i p
dont leur patrie n’offroitpas le type naturel. Le climat et les productions del’Égypte
se réfléchissent dans son ancienne architecture comme dans un miroir; pourquoi
chercher le modèle en des lieux si éloignés de l’image (i)! Faire descendre les arts
depuis les rives supérieures du Nil jusqu’en Egypte, c’est perdre de vue que la
limite des pluies du tropique sépare les deux contrées. Au reste, la question de
savoir quelle région, ou de l’Éthiopie, ou de l’Égypte, a été peuplée la première,
est bien distincte de celle de l’origine des arts Égyptiens, de ces arts que nous con-
noissons bien aujourd’hui par les monumens de la Thébaïde. On ne doit pas confondre
ces questions comme on semble l’avoir fait; la solution de l’une est tout-à-
fait indépendante de celle de l’autre.
Nous terminerons ici cette digression, qui, si elle nous a écartés un peu du sujet,
a confirmé du moins notre opinion sur la limite en plus de l’ancienne population
de l’Égypte, puisque la Nubie ëst un pays sans ressource et peu habité, que sa population
étoit distincte de celle de l’Égypte sous ses anciens rois; enfin, que, lors
même qu’on l’y joindroit, ce seroit un foible supplément, incapable de faire pencher
la balance en faveur des récits exagérés qu’ont faits sur ce sujet Hérodote et
d’autres auteurs.
(1) Voyez Y Essai sur Vart en Egypte.
A . T O M E II. Q