» On y monta (dit-on ), du temps d’Al-Mâmoun, et l’on parvint à un petit appar-
» tentent qui contenoit une statue d’homme en pierre verte comme une éme-
» raude, creuse, et contenant un corps humain, couvert d’une plaque d’or fin,
» orné d’une grande quantité de pierres précieuses. 11 avoit sur la poitrine la poi-
» gnée d’une épée sans prix, sur la tête un rubis gros comme un oeuf de poule
» et qui brilloit comme la flamme. . . . Jai vu moi-même, dit-il, la statue dou
» l’on avoit tiré le cadavre ; elle étoit auprès du palais royal de Postât en 5 1 1
» [ 1 1 1 7 ] ou 61 t [1214] ( 1 )■ »
Nous n’avons rien aperçu de semblable à cette description dans la grande pyramide
: mais l’auteur Arabe parloit d’après un témoin oculaire, c’est pourquoi je
n’ai pas cru devoir passer ce récit sous silence. On voit qu’il renferme plusieurs
circonstances décrites par A ’bd el-Hokm, et que j’ai rapportées au commencement.
El-Maçoudy, écrivain postérieur d’un siècle au khalife Al-Mâmoun, qui passe
pour avoir ouvert la grande pyramide (2), dit que « les pyramides sont des édi-
» fices très-élevés et d’une construction merveilleuse; leur surface est chargée
» d’inscriptions écrites dans les caractères des nations anciennes et des royaumes
» qui ne subsistent plus ; on ne sait ce que c’est que cette écriture, ni ce qu’elle
» signifie. » Ce témoignage si positif, qui est d’accord avec d’autres déjà cités,
n’est confirmé par aucun fragment d’inscription encore subsistant parmi les débris
du revêtement. Mais, nonobstant l’opinion que je m’étois faite sur les lieux
après une recherche infructueuse (opinion qui étoit aussi celle de mes compagnons
de voyage ), je ne puis nier que le concert presque unanime des écrivains
qui ont vu ou décrit ces monumens il y a neuf siècles, et même beaucoup plus
tard, ne prouve l’existence de ces inscriptions. Je me range donc au sentiment
de M. de Sacy : il cite encore à l’appui Ebn-Haukal, voyageur et écrivain du quatrième
siècle de l’hégire, deux autres écrivains Arabes, et de plus un certain
Guillaume de Baldensel, voyageur du x iv .' siècle, qui atteste avoir vu sur les deux
plus grandes pyramides, des inscriptions en divers caractères (trad. d’A ’bd el-Latyf,
p. 222 ). D’ailleurs le témoignage des écrivains Grecs et Latins n’est rien moins
que contraire à celui des Arabes : une preuve négative ne sauroit, en bonne critique
, leur être opposée.
On lit dans la Vie de Denys de Telmahre, patriarche Jacobite d’Antioche, par
Grégoire Bar-Hebræus, connu sous le nom d'Abou-l-faradj ( 11.' partie de la Chronique
Syriaque), des détails sur le voyage de ce patriarche, d’autant plus intéressans
qu’ils sont d’un témoin oculaire, d’un homme qui a vu les monumens au troisième
siècle de l’hégire, et que Grégoire cite ses propres paroles. Les voici : « Nous
» avons vu en Egypte ces édifices. . . . (les pyramides ) ; ce ne sont point, comme
» on le croit, les greniers de Joseph, mais bien des mausolées étonnans [naousè]( 3),
» élevés sur les tombeaux des anciens rois. Us sont obliques ( c’est-à-dire, en plan
(1) Voyez Relation de l ’Egypte d*Abdel-Latyf,p. 2 17 ; accompagna AI-Mâmoun en Egypte, trouva la pyramide
et l’édition de Norden, 1 . 111, p. 303-304. ouverte.
(2) M. de Sacy oppose à cette opinion que le pa- (3 ) Naousè, ditM. de Sacy, est lemotdont Nowairi
triarche Denys de Telmahre, qui écrivoit vers 840, et qui et Makrizi se servent constamment en parlant des sépul-
S U R L E S P Y R A M I D E S d ’É G Y P T E , § . I I . I Ç 7
» incliné) et solides, et non-pas creux et vides. Nous avons regardé par une ou-
» verture qui étoit faite dans un de ces édifices, et qui est profonde de 50 cou-
» dées, et nous avons reconnu que la bâtisse est en pierres de taille disposées par
» lits. Ils ont par en bas y00 coudées de large sur une égale longueur, à la mesure
» de la coudée de. . . . . (-1 ), et leur élévation est de 250 coudées. Les pierres
» qu’on a employées pour les construire, ont de y à 10 coudées; ce sont toutes
» des pierres taillées. De loin ces édifices paroissent comme de grandes mon-
» tagnes ( 2 ), »
Denys de Telmahre voyageoit alors pour la seconde fois en Égypte, sous le
règne d’Al-Mâmoun, et en compagnie de ce prince, l’an 214 [829 de J. C. ].
Il paroît que les mesures, qu’il a recueillies de la grande pyramide sont les plus
anciennes qu’aient rapportées les auteurs Arabes : elles méritent donc une attention
toute particulière. J’ai déjà fait remarquer plusieurs fois ce nombre de y 00
coudées (3) donné à la base. Quand j’ai recherché la valeur de l’ancienne coudée
Egyptienne, que je l’ai évaluée à 462 ou 463 millimètres, et que j’ai trouvé à la
base de la pyramide le nombre exact de y00 coudées, je n’avois aucune espèce de
connoissance d’un passage aussi formel : j’étois parvenu à ces deux résultats par des
données tout-à-fait indépendantes des témoignages des écrivains Orientaux. En
voici un, et qui est le plus ancien de ceux qui aient rapporté les mesures des pyramides,
chez qui nous lisons positivement que les pyramides ont y 00 coudées
de long et de large. Or, la base étant de 231 mètres, la coudée qui se déduit
de là est nécessairement de 462 millimètres et une fraction (4 ). L’élévation de
2yo coudées ne sera pas trouvée moins conforme à la dimension réelle, si l’on
remarque que la coudée nouvelle étoit alors et est toujours égale à -j en sus de
l’ancienne , c’est-à-dire, de y 77 millimètres 7; c’est celle qu’on appelle aujourd’hui
coudée du pays, dera’ ou pyk belady (par opposition au pyk stambouly et au pyk
hendazy'). Or ayo de ces coudées font 144m>4 > ce qui est la hauteur verticale de
la gl ande pyramide.
Notre voyageur, à l’instar de beaucoup d’autres, semble confondre ensemble la
p r em iè r e et la d e u x ièm e pyramides, et il attribue à celle ci la même mesure qu’à
celle-là ; mais la grande pyramide, étant la plus célèbre, est celle dont on avoit
coutume de rapporter la mesure : on ne pourroit donc par cette observation infirmer
les résultats qui précèdent. Il vit une ouverture profonde de yo coudées,
et reconnut l’appareil de la construction intérieure; seroit-on fondé à conclure de
là que le premier canal, ou canal descendant, étoit alors obstrué à cette profondeur!
tures des anciens rois d’Egypte ( traduct. d’A ’bd el-Latyfj (3) Voyez plus haut, et le Mêmoire sur le système métrique
p. 508 ). Est-on autorisé suffisamment à le traduire ici des anciens Égyptiens ( ch. n i , §. ix ). II auroit fallu, en
par mausolée, plutôt que par édifice religieux / Ce mot rapportant ce passage d’Abou-I- faradj , dire qu’il citoit
paroît le même que vaoç. les paroles mêmes de Denys de Telmahre.
( 1 ) « II y a ici un mot effacé que je n’ai pas pu deviner» ( 4 ) Si l’on faisoit ( ce que je regarde comme impos-
( note de M . de Sacy ). II est possible qu’il y e û t , de la sible ) abstraction du socle du monument, et qu’on prît
coudée ancienne, ou des temps antiques. la cinq-centième partie de la longueur totale ( tout com-
(2) Voyez Relation de '[Egypted’A ’bd el-Latyf, iii.° pris), la mesure qu’on en conclurait serait seulement
Append. p. 504, et Observations sur le nom des pyramides plus grande de 2 millimètres.
(Mag. encyclop. 6.° année, t. VI, p. 497), par M. de Sacy,
A . TOME II. Bb a