Le blé d’Egypte soumis à la panification, d’après les expériences faites au Kaire
par une commission spéciale, fournit, terme moyen, les -Lj- de son poids en
farine et les -fr en pain (i). On n’a point d’expérience exacte faite sur le dourah;
mais on peut évaluer à moitié, au moins, le poids spécifique de cette espèce de
millet, et le produit qu’on en tire en pain.
Voilà donc environ 770500000 kilogrammes de pain qu’on pourroit préparer
dans une année avec les grains d’Egypte, et qui pourroient alimenter par
jour environ 4222000 individus, à raison d’un demi-kilogramme par jour, terme
moyen; quantité qui me paroît admissible en Égypte, comme en Europe, où elle
est généralement reçue dans les calculs des économistes. A ce nombre de
422.2000 individus il faudroit ajouter tous ceux qui vivent de grains servant à
payer les frais de culture, environ un cinquième en sus, et enfin tous ceux qui se
nourrissent uniquement de fèves (2), de maïs et de denrées autres que le pain:
on parviendroit ainsi à un nombre de 5 millions et demi d’habitans, ou tout au
plus 6 millions.
Je ne fais pas entrer dans le calcul d’autres substances alimentaires dont le prix
est très-modique; par exemple, les oeufs, dont le prix est si bas, qu’on en a aisément
jusqu’à cinq à six pour un médin ( la vingt-huitième partie du franc), le lait,
le beurre et le fromage, les dattes et les autres fruits, le poisson si abondant dans les
lacs et les canaux, sans parler de la chair du mouton, du buffle, des poulets, et des
autres subsistances qui sont moins à la portée de la masse du peuple. Si je n’établis
point d’évaluation pour ces denrées, c’est qu’il est presque impossible d’en déterminer
la quantité précise, et d’en estimer la consommation, soit absolue, soit relative;
en second lieu, parce que ces substances alimentaires ne sont guère autre
chose que le complément nécessaire de la nourriture en pain. En Europe, bien
que Ion consomme une multitude de denrées autres que le pain, celui-ci cependant
est regardé comme une base suffisante pour estimer la population ; et en effet,
c’est assez de connoitre la quantité que chaque individu l’un dans l’autre consomme
d’une denrée quelconque, lorsqu’on sait d’ailleurs la somme totale qui est consommée,
pour évaluer le nombre des consommateurs; et le pain, en Égypte
comme en tout pays à blé, est la seule qui se prête à des calculs de cette nature.
Les autres données ne fournissent que des résultats très-vagues, et c’est pour ce
motif que l’on n’a pas coutume d’en faire usage.
Mais il s’en faut que toute cette quantité de grains dont j’ai parlé plus haut,
savoir, 13 à 14 millions d’hectolitres, soit consommée en Égypte ( 3 ) : l’Arabie en
extrait beaucoup parla voie de Qoçeyr; Alexandrie en exporte une quantité très-
considérable. On n’a pas une évaluation précise de ces exportations, dont la mesure
est fixée nécessairement par le besoin de la population ; elles diminueroient
(1) Voyez la Décade Egyptienne, tom. I I I , pag. 129. (3) Environ la moitié du tout, non compris les réserves,
(2) Le produit en fèves est aussi considérable que celui sort de l’Égypte. Quant au riz, le port de Damiette en
du blé : mais il faut observer que les bestiaux en consom- laisse annuellement sortir y 1787 hectolitres, terme moyen
ment une grande partie; savoir, les chameaux, les ânes, et (Déc. Êgypt. t. I,p. 300); Rosette en exporte, dit-on,24000.
même les chevaux. L'orge fait la moitié du froment, le Ces nombres sont trop foibles; d’autres calculs font mon-
maïs un huitième, à peu près. ter l'exportation à 80000 ardebs ou 147900 hectolitres.
peu si cette population venoit à s’accroître, puisque tant de terres incultes peuvent
être rendues à l’agriculture par le seul entretien des canaux.
’ On peut donc admettre que le pays nourriroit aisément plus que le double
des habitans actuels, sans ajouter un hectare au terrain cultivé, et le quadruple au
moins, si l’on rendoit à la culture en grain toutes les terres qui ont pu jouir autrefois
du bienfait de l’inondation, c’est-à-dire, environ deux mille lieues carrées. Ce
qui précède confirme que l’exportation est, dans les bonnes années, égale au moins
à la consommation : ainsi, en exportant 900 millions de kilogrammes de grains,
lé pays pouvoit jadis nourrir, avec le reste de ses récoltes et ses autres produits
alimentaires, près de 6 millions d’individus.
R É S U M É .
A v a n t d e p a s s e r à l ’ a r t i c l e s u i v a n t , n o u s f e r o n s u n e r é c a p i t u l a t i o n d e c e u x q u i
p r é c è d e n t .
La détermination de la vraie superficie du sol, comparée à celle d’une partie
du pays dont la population est connue, fourniroit un résultat très-vraisemblable,
qui, joint au nombre actuel des habitans du Kaire et des villes principales, monte,
en total, à 2488000 habitans ( 1 ).
En second lieu, nous avons trouvé 3600 villages dans le pays, et 5 8 4 habitans,
terme moyen, par village; résultat, pour les 3600 lieux habités, 2 1 0 2 4 0 0 individus,
et, en y ajoutant les villes, environ 2 5 0 0 0 0 0 .
En troisième lieu, nous avons reconnu que la proportion excédante du nombre
des femmes et leur grande fécondité ne pouvoient avoir une influence bien sensible
sur la population, attendu les causes qui en limitent les développemens ou
en détruisent les effets.
Quatrièmement, il résulte de l’examen de la quantité de blé et de dourah produits
par le pays, qu’elle peut nourrir aisément 2 millions et demi et peut-être jusqu’à
3 millions d’individus, en outre d’une exportation égale à la consommation (2).
Quelle conséquence devons-nous tirer de là pour remonter à l’ancien état des
choses! Nous avons fait voir que jadis on pouvoit tout au plus compter 2000
lieues cultivées et peuplées dans toute l’Égypte, au temps où pas un aroure n’étoit
dérobé à la culture. Or il est difficile de porter la population ancienne par lieue
carrée à plus d’un tiers en sus de l’actuelle, qui est déjà si forte, à moins de surcharger
la terre fertile, et de réduire beaucoup l’étendue d’un territoire déjà si
resserré. Accordons cependant moitié en sus, 2077 Iia8itans Par lieue carrée
seulement pour la campagne, au lieu de 1385, population actuelle; cest-à-dire,
un nombre au-delà de ce que l’on observe dans les pays les plus peuplés de
(1) Dans ce nombre, entrent les Chrétiens et les Juifs priment la loi de la population, étant au nombre de près
pour au moins 215000, comme on Iedéduit du kharagou de 18000 mâles, le total est de 108000 maies.et 215000
plutôt gizyeh, selon M. Silvestre de S acy, ou capitation à 220000 individus des deux sexes. Voyez ci-après \Ap-
imposée sur les sujets non musulmans, mâles et âgés de pendice.
douze ans et au-dessus; car le droit, d’après M. Estève, (2) Ce calcul est encore confirmé par Iopinion reçue,
étoit perçu sur le pied de 90000 assignations. Les enfans qu’un individu en Égypte consomme un ardeb par an.
âgés de moins de douze ans,'d’après les tables qui ex- Voyez la note i,p a g e 103.
A. T O M E I I . O *