
MÉMOIRE
S U R
LA POPULATION COMPARÉE
DE L’ÉGYPTE
ANCIENNE ET MODERNE;
P a r E. JOMA R D .
L a connoissance de la population d’un pays est non-seulement une donnée dont
nous avons besoin pour juger de ses ressources, de sa prospérité, en un mot de
son existence politique, mais c’est encore un des premiers élémens de l’administration
même de l’Etat, sans lequel il est presque impossible au Gouvernement de
comparer la production à la consommation, l’impôt au revenu, enfin de régler
sûrement l’économie publique.
Les Egyptiens paroissent avoir senti cette vérité, puisqu’ils faisoient tenir soigneusement
des registres publics, et qu’on faisoit le dénombrement exact de tous les
habitans. Dans une contrée telle que l’Egypte, il seroit d’un grand intérêt de savoir
à quoi s’en tenir sur la population réelle du pays spus ses anciens rois; il suffit,
pour s’en convaincre, de considérer les grands ouvrages qu’elle a produits et qui
ont rendu son nom immortel. S’il est vrai qu’elle fut l’école des Grecs, de ceux à
qui l’Europe doit son haut degré de civilisation, on doit vivement desirer de con-
noître par quels moyens elle avoit acquis sa prospérité si vantée : malheureusement
ses registres publics ont disparu avec ses annales; à peine en trouvons-nous dans
les auteurs une foible mention. L’obscurité où les auteurs Grecs nous laissent à
cet égard, la contradiction de leurs témoignages, l’éloignement des temps, les
vicissitudes du pays, tout concourt à jeter un voile épais sur une des questions
les plus curieuses de l’antiquité; je ne parle pas des auteurs modernes, qui, en
général, semblent avoir conspiré pour cacher de plus en plus la vérité.
Puisque l’histoire ne jette sur cette matière qu’une lueur incertaine, il faudra puiser
à d’autres sources; nous interrogerons la nature, force immuable, qui brave les
A . T O M E EL M