
APPENDICE.
Recherche de la Population de l ’Égypte depuis la conquête des Arabes, d’après
la Capitation ou Imposition personnelle.
O n a vu, p. 1 0 5 , à la note, qu au moment de l’expédition des Français enÉgypte
Ja capitation payéepar les sujets non musulmans pourroit offrir un moyen de suppu ter
leur nombre, et nous avons conclu qu’il y avoit alors environ 2 2 0 0 0 0 chrétiens
et Juifs. Le même procédé peut faire connoître la population du pays entier à
une certaine époque, de son histoire; mais c’est seulement au moment de l’invasion
des Arabçs, lorsqu’on affranchit de la capitation chaque sujet qui embrassa
l’islamisme. C ’est pourquoi je choisis l’époque de la capitulation qui fut accordée
par A ’mrou à Makaukas, commandant le fort de l’île de Roudah pour l’empèreur
Héracjius; cette pièce intéressante a été publiée en arabe par M. Silvestre de
Sacy dans son Mémoire sur le droit de propriété en Égypte f i ) . Ce savant l’a tirée
d Abou-l-Mahsen, qui l’avoit empruntée d’Ibn Kethyr. Quoiqu’on ne puisse en
garantir 1 authenticité, elle ne renferme rien, dit M. Silvestre de Sacy, qui choque
la vraisemblance. En voici la substance : «Les habitans de l’Égypte seront obligés
” a Pa>'er le gizyeh, quand ils auront donné leur consentement à cette capitulation
» et que le fleuve aura eu une crue complète. Leurgizyeh sera de 5 0 millions; si
» le Nil n atteint pas ce terme, il sera réduit en proportion. Si quelqu’un des
» Grecs et des Nubiens accède à la capitulation, il jouira des mêmes avantages
» que les Égyptiens. La contribution imposée aux Égyptiens sera payable en trois
» termes et par tiers (2).» .
Cet événement se passoit vers l’an 18 de l’hégire [639 de J’ère vulgaire].
Le gizyeh embrassoit alors tous les Égyptiens, puisque l’acte porte ces mots : « Si
» quelquun deux refuse de souscrire à ces conditions, on diminuera le gizyeh à
» payer en proportion de leur nombre. »
Deux questions sont d’abord à examiner : s’il faut entendre capitation par le
mot de gizyeh, quelle est la somme qui étoit à payer en total par les Égyptiens!
combien payoient-ils par tête !
Selon Ebn A bd-el-Hakim, A ’mrou conserva le mode de recouvrement des
impôts qui étoit en usage parmi les Égyptiens sous le gouvernement des Grecs.
Cela s entend de 1 impôt foncier, kharag. On partageoit les terres en 24 qyrât,
comme le dynâr (monnoie d’or). On imposa (3) un ardeb de froment par feddân
; i 0 f r7 ' ° i-e\ * l‘Acadêmk i a inscriptions et telles- montrer que le droit de propriété n’a jamais cessé d’exister
y Sen6j ’ r°m. ’ PaS‘ 34- en Égypte, et que c’est la seule violence qui en a suspendu
Les passages des ameuta Arabes qui sont rapportés dans l’exercice. Au reste, les écrivains Arabes ne sont point
cet Appendice ont ete tues presque textuellement du Mé- d’accord sur la nature du droit que les maîtres de l’Égypte
moue de M. de Sacy sur la nature et Us révolutions du on, acquis par la conquête, parce que, selon les uni, les
droit de propriété territoriale en E g „ t e : je n’ai fai, que Arabes on. pris le pays par capitulation, et que, selon
disposer ces passages de manière a rendre claire la con- les autres, ils s’en sont emparés de vive force,
clusion que j essaie d en tirer. L’objet de l’illusue orienta- (a) Jbid. pag. 3 5.
liste est diiférent et beaucoup plus important : c’est de (3) Jbid. pag. 47.
d e l’Ég y p t e a n c i e n n e e t m o d e r n e . 1 2 1
et deux waïbas d’orge (mesure de 6 mudds) ; mais cet impôt territorial est indépendant
de l’imposition personnelle ou capitation, proprement appelée gizyeh,
payable en argent. Le passage suivant, extrait d’el-Kodouri, ne laisse aucun doute
à cet égard : « Le gizyeh impose sur le riche une capitation annuelle de 4 8 dir-
» hems, ou 4 dirhems par mois; sur l’homme d’une aisance moyenne, 2 4 par an
» ou 2 par mois ; sur celui qui gagne sa vie à l’aide de son travail, 12 dirhems par
» an, ou un par mois. On hnpose le gizyeh sur les Juifs, les chrétiens, les mages,
» les idolâtres étrangers, et non sur les idolâtres Arabes, ni les apostats, les femmes,
y> les enfans, les estropiés, les paralytiques. Les pauvres qui ne peuvent gagner
» leur vie n’y sont pas soumis. Si un homme soumis au gizyeh embrasse l’islamisme,
xx il est exempt ( 1 ). xx
Ce passage se rapporte à une époque où il y avoit déjà eu beaucoup de conversions
à la religion musulmane. Plus tard, la plus grande partie du gizyeh fut convertie
en kharag ou contribution foncière; mais il fut conservé dans les villes et aussi
dans les villages pour les artisans et les journaliers. Cet impôt prit le nom de galyeh
( pl. geoualy )..... Maqryzy observe que le produit des geoualy diminuoit à mesure
que les Qobtes embrassoient l’islamisme. « Suivant le qâdy Fadhel, la recette des
>xgeoualy fut affermée en 587 pour 31000 dynârs; aujourd’hui (en 8 4 5 ) , il est
xx considérablement diminué. En 8 1 0 , il monta à 1 1 4 0 0 dynârs, sans compter ce
xx qui fut dépense pour les soldats. Ebn A ’bd-el-Hakim rapporté que le produit
xx du kharag fut de 12 millions de dynârs au temps d’A ’mrou; que Makaukas en
xx retiroit 20000000, et qu A bd-allah ben-Said ( nommé gouverneur par O ’tmân )
xx en tira 14000000 (2)7xx
Pour revenir au gizyeh, c’étoit, selon Maqryzy, une imposition personnelle qui
étoit payable en argent; le plus souvent il se convertissoit en imposition foncière,
et c est pour cela qu’on l’a appelé quelquefois kharag ( 3 ).
Ces derniers mots servent à expliquer pourquoi la capitulation des chrétiens
portoit aussi le nom de kharag au temps de notre expédition ; d’où il résulte une
confusion apparente, qui se trouve bien éclaircie par les recherches de M. de Sacy.
C ’est ainsi que les 90 mille assignations payables par les chrétiens et les Juifs, à
l’arrivée de l’armée Française, sont attribuées au karach (ou plutôt kharag) par
M. Estève. ( Voyez ci-dessus, page 10 5 , à la note.
« O ’mar prescrivit ( c’est Maqryzy qui le rapporte ) de n’exiger le gizyeh que
xx de ceux sur le visage desquels le rasoir auroitpassé, et d’en tenir exempts les femmes
xx et les enfans. Les individus soumis au gizyeh devoient payer, si leurs espèces
xx étoient d’argent, 4 0 dirhems, ou 4 dynârs s’ils avoient des espèces d’or; et en
xx outre, fournir à chaque musulman un ardeb de froment par mois, de la viande
xx grasse et du miel (4). xx
La nature du gizyeh ou impôt personnel étant bien comprise, il s’agit d’en re-
connoitre le montant total à l’époque de la conquête, c’est-à-dire, à l’époque où
(1) Mémoires de l 1 Académie des inscriptions et belles- mort dans l’année 845 de l’hégire, selon Abou-I-Mahsen.
lettres ( a .0 série ) , tome V , page 9. (3) Jbid. page 47.
(2) Ibid. tome V , pages 5 5 et suivantes. — Maqryzy est (4 ) Jbid. page 4 6 ,
A . T O M E I I . q 2