
mement, il suffit d’observer qu’il n’est point prouvé que les pyramides aient
cté proprement des tombeaux. Cette simple réflexion dispense d examiner les ar-
gumens tirés des prétendues colonnes élevées dans le même but par les enfans
de Seth, et des stèles ou syringes, et de la tour de Babel érigée contre un second
déluge, &c. Ainsi, que telles aient été l’intention des fondateurs des pyramides et
l’origine de ces monumens, c’est ce qu’il n’est pas possible d appuyer autrement
que par des hypothèses.
Il est temps d’examiner deux autres opinions sur l’objet des pyramides. Les
fondateurs ont-ils été guidés par une intention politique, ou bien ont-ils eu un but
scientifique ! Aristote a émis la première de ces opinions, et Pline paroît y abonder.
Le premier regarde les pyramides comme ayant été élevées par une puissance
tyrannique, afin d’occuper le peuple et de prévenir les rébellions ( i ) ; le second
les attribue, comme on l’a dit, à une vaine ostentation, ou à 1 appréhension de
l’oisiveté dans le peuple, ou à la crainte qu’avoient les rois de voir leurs richesses
tomber aux mains d’ennemis puissans et ambitieux. Les écrivains modernes se
sont partagés sur cette question : ceux-ci envisagent les pyramides comme l’ouvrage
du despotisme et la preuve que l’Egypte étoit soumise à une complète ser
vitude; ceux-là pensent qu’elles ont été élevées par la vanité; les autres, jugeant
leurs auteurs plus favorablement, croient qu’ils vouloient exercer une influence
heureuse sur la santé du peuple en lui imposant des travaux réglés, et empêcher
les habitans de tomber dans l’inertie. Il faut convenir que le témoignage d’Aris-
tote est favorable à cette dernière opinion (2), et j’avoue que son autorité me
paroît faite pour décider les bons esprits : cette idée est d’ailleurs conforme à
toutes celles que nous suggèrent les monumens d’Egypte.
A la vérité, une telle politique des rois et des collèges de l’Egypte n’a été
exposée par les anciens historiens dans aucun texte formel ; mais elle est écrite en
quelque sorte dans les immenses travaux des Égyptiens, et elle explique trop bien
l’existence de ces constructions si multipliées, si colossales, pour ne pas être regardée
comme l’une des causes qui présidèrent à leur érection. En effet, sous un
climat brûlant, sur une terre aussi féconde, existoit-il un moyen plus sûr d’arracher
l’homme à l’apathie, à l’indolence, de développer en lui de l’énergie et de la vigueur,
de l’exciter à la pratique salutaire du travail, enfin de 1 attacher à la patrie
en le faisant participer à des ouvrages glorieux et durables!-Nous ignorons jusqu’à
quel point la liberté et la dignité humaines ont ‘été respectées dans ces
longs et pénibles travaux, et si ce sont des nationaux contraints par la force, ou
des captifs, des prisonniers de guerre (3), ou enfin des hommes condamnés à des
peines.corporelles, qui ont essuyé ces grandes fatigues; ou bien si, au contraire,
ces monumens ont été élevés par les mêmes moyens que ceux de la Thébaïde,
que personne n’a regardés comme le signe de l’oppression des peuples. Dépourvus
des lumières de l’histoire, nous ne pouvons concevoir sur ce point aucune
( 1 ) Voyez, ci-dessus, page 1 7 6 , le texte de Pline I la çg L S ity x a S i itum v a l t t -mjpapuSiç a i m e * A i ju n io r .
(lib. x x x v i, cap. x i l ). ( Arist. de Rep. lib. v , cap. xi. )
(2) . . .Ilgpf to ko.9 ’ n/utpar oritç, aejgxoi amr imCvtàveiv. ( 3 ) Herod. Hist. Iib. 11, cap. C V I I I .
opinion bien éclairée, et il nous faut juger seulement sur les résultats : cependant,
nous le croyons, aucune personne attentive , qui aura soigneusement observé
et étudié les monumens d’Égypte, et qui aussi aura long-temps médité sur ces
étonnans ouvrages, n’embrassera de préférence le premier sentiment, meme pour
ce qui regarde les pyramides. Il y a trop de soin et d art, au moins dans la construction
de la plus grande de toutes, pour ne pas être porté à reconnoître que
c'est la science qui a présidé à l’ouvrage, et non pas une folle ostentation ( i) ,
ni un aveugle despotisme. Nous soumettons au lecteur ces considérations comme
un doute, mais comme un doute suggéré par la comparaison des monumens et
par une longue étude de celui dont il s agit : les découvertes qui restent à faire
dans l’intérieur de l’édifice, à défaut des lumières dont nous prive l’ignorance ou
l’obscurité des historiens, mèneront sans doute un jour à la solution du problème.
Ici une réflexion vient naturellement aux esprits attentifs : que les pyramides
en général aient un rapport de réalité ou d analogie avec les tombeaux, c est ce
qu’on ne peut nier, et je nai point avance le contraire dans le cours de ces remarques;
que les rois de Memphis aient voulu rivaliser avec les rois de Thebes,
c’est encore ce qu’il seroit déraisonnable de contester. Cela posé, si l’on décou-
vroit dans les pyramides des traits qui se rapportent a la science astronomique,
faudroit-il s’en étonner! En effet, plusieurs des tombeaux des rois a Thebes sont
ornés de toute sorte de sujets qui touchent a 1 astronomie : tantôt ce sont des
peintures isolées, tantôt de vastes plafonds formant une grande composition astronomique;
les constellations, les signes du zodiaque, des ciels dazur parsèmes
d’étoiles, y sont peints fréquemment : qu’y auroit-il de surprenant, d après tout ce
qu’on vient de dire, si les pyramides offroient, non pas des représentations matérielles
comme à Thèbes, mais des indications relatives à la science, et la preuve
d’observations célestes qui auroient été exécutées lors de la construction î Et si on
la trouve en effet cette preuve, comme cela est incontestable, pourroit-on soute-
nir que tout but scientifique est reste étranger a cette construction, et que son
unique destination étoit la sépulture d’un roi!
Or qui peut nier l’orientation exacte et précise de la g r a n d e pyramide ( 2 ) , et
la difficulté qui existe de tracer avec justesse une méridienne d une aussi grande
étendue! Non-seulement il a été difficile d’exécuter cette opération ( et il le seroit
encore aujourd’hui J pour ne dévier que de quelques minutes de degre sut une
longueur de 716 pieds 6 pouces, mais il n’est pas invraisemblable de penser que les
auteurs de ce travail vouloient fournir dans la suite un moyen de juger de 1 invariabilité
du pôle; et du moins, si telle n’a pas été leur intention, cest le fait; car
nous avons acquis la certitude par ce monument ( et c est le seul sur la terre qui
puisse la procurer), que, depuis trente siècles ou davantage, la position de laxe
terrestre n’a pas varié d’une manière sensible.
L’erreur même où sont tombés quelques auteurs (3) sur le phénomène de
(1) Si ceux qui élevèrent les pyramides furent des in- (a ) Voyez A . D . chap. X V I I I page 61.
sensés, que penser de la folie de ceux qui ont voulu les (3 ) Voye^ ci-dessus, pag. 178 et suiv.,et le Mémoire
renverser! '• | sur le système métrique & e . A . M . u l , p. 734.
A. TO M E II. C c i