révolutions des empires. Ce que le sol de l’Égypte a été autrefois, il l’est encore :
la fertilité du pays, la salubrité de l’air, la fécondité des femmes, rien n’a changé
de ce qu il n est pas donné à l’homme de détruire; et, de même que, dans certaines
circonstances, les anciens habitans conjecturoient avec justesse pour un avenir
éloigné, nous pouvons, avec la même probabilité, remonter du présent dans le
passe. Nous consulterons donc l’état actuel de la contrée, la superficie du sol, le
nombre des lieux habités, la population connue de plusieurs villes et provinces, les
tables que 1 Institut dÉgypte a rapportées, la proportion des sexes, la fécondité
extraordinaire des femmes, la production et la consommation du pays. Une seule
de ces données seroit insuffisante; combinées ensemble, elles formeront, sinon
un corps de preuves, du moins une base admissible, et telle, qu’on puisse y
asseoir un calcul probable; car, il ne faut pas se le dissimuler, l’antique population
de l’Egypte est une des questions les plus épineuses qu’on puisse se proposer dans le
vaste champ de l’histoire ancienne.
Si nous trouvons de l’accord dans les résultats obtenus partiellement, nous nous
arrêterons à un terme moyen, dans lequel les erreurs seront balancées et atténuées,
comme il arrive dans tous les résultats tirés de l’expérience (et il doit être permis
dadopter en érudition, ou, si l’on veut, en économie politique, un moyen admis
même dans les sciences exactes); nous pourrons ensuite comparer ce résultat aux
données imparfaites des auteurs. Si nous avions suivi la méthode contraire, nous
aurions couru le risque de tomber dans de graves erreurs, ou de suivre une fausse
route ; tant est grande l’incertitude ou même l’opposition des témoignages sur la
question dont il s’agit.
A R T IC L E PREM IER.
Superficie de l ’Egypte.
I l faut d’abord se rendre un compte exact de l’étendue réelle du pays; cette recherche
est fondamentale, et l’on n’est pas libre de se contenter d’approximations,
quand on a le moyen de s’établir sur un fondement solide et hors de toute attaque.
Elle est dans la grande carte topographique, fruit des travaux de plus de cinquante
ingénieurs ou officiers instruits, et à laquelle je m’honore d’avoir pris quelque part.
En songeant à l’utilité qu’elle aura un jour, non-seulement pour les recherches historiques
, mais pour l’état futur de cette contrée, et des relations que l’Europe, la
France sur-tout, doit continuer d entretenir avec elle, les voyageurs oublient aisément
les fatigues et les périls qu’il leur a fallu braver pour en recueillir les matériaux;
qu’on me pardonne ce souvenir, puisqu’il s’agit du grand intérêt de la civilisation
et de l’avantage de la patrie.
Hérodote (i) nous apprend que les habitans de Maréa, désirant se soustraire à la
domination Égyptienne, consultèrent l’oracle d’Ammon. La réponse fut que les
pays qui étoient arrosés par l’inondation des eaux du Nil, appartenoientà l’Egypte.
(i^ Lib. i l , cap. 18.
On nesauroit donner en effet une autre définition à l’Egypte proprement dite; en
l’adoptant, nous serons aussi d’accord avec Strabon (i). « On n’appliquoit, dit-il,
» le nom A’Egypte qu’aux terrains arrosés par le fleuve, depuis Syène jusqu’à la
» mer. » Ainsi les limites du pays seront Syène et l’île de Philæ au sud, vers les
24° w 2î" de latitude; le cap Bourlos au nord, par les 3 t° 3 7 'de latitude; à l’est,
un point situé auprès de la branche Pélusiaque, et à l’ouest, la tour des Arabes, où
vient aboutir le lac Mareotis : ces deux derniers points sont compris entre le
30.' degré 16' ~ de longitude et le 27.° degré 14' ÿ. Toutefois les cartes modernes
étendent l’Egypte bien au-delà, et, géographiquement parlant, cette extension
est légitime, puisque la Coelé-Syrie d’une part, et la Libye de l’autre, ne réclament
point l’espace compris à l’ouest du 33* degré 22' de longitude et à l’est
du 26 .'degré 30'; mais les eaux du Nil ne parviennent jamais jusqu’à ces distances
reculées. Des déserts sablonneux et entièrement stériles, fréquentés seulement par
les caravanes ou par les bêtes sauvages, remplissent la plus grande partie de cette
étendue. II en est de même des déserts qui séparent le Nil de la mer Rouge, ou
de ceux qui confinent à la chaîne Libyque. Des stations établies pour le commerce
ne méritent pas d’entrer en ligne de compte; puisque la culture a toujours été impossible
dans ces régions, elles n’ont jamais été peuplées par des hommes : nous ne
pouvons nous y arrêter.
Bornons donc nos calculs' à l’espace compris entre la mer et les montagnes
sablonneuses qui resserrent la vallée du Nil, et que les eaux fécondantes de
l’inondation annuelle n’ont jamais pu atteindre en aucun temps. Cet espace est
bien plus rétréci qu’on ne le croit communément. Les historiens modernes et
les géographes se sont trompés de beaucoup sur l’étendue actuelle de l’Egypte
cultivée ou cultivable; est-il donc étonnant que, sur la foi de quelques auteurs,
on soit tombé dans des exagérations infinies et sur la population du pays, et
sur les hommes de guerre qu’il mettoit sur pied, et sur le nombre des villes et
des bourgades! On reculoit jusque dans des sables inaccessibles les limites du
pays ; et des chaînes de montagnes escarpées disparoissoient sous la plume des
écrivains.
Ce n’est pas tout de se renfermer rigoureusement dans les limites que j’ai définies
, il faut encore distinguer dans cet espace toutes les espèces de superficies qui
composent le territoire.
Ici j’emprunterai àM. le colonel Jacotin, qui, avec autant de zèle que de talent,
a dirigé en Egypte les travaux de la carte, et en France la rédaction de tous les matériaux
(2), l’énumération qu’il a faite des différentes espèces de terrain, la mesure
qu’il en a prise, et les calculs auxquels il s’est livré. Refaire une pareille opération
seroit un travail complètement inutile, quand on sait avec quel succès cet habile
ingénieur a rempli sa tâche.
« 1.° Les terrains occupés par les villes, villages, hameaux, habitations, tombeaux,
» places vagues, &c.;
(1) Lib. XVII, pag. 790.
(2) Voyez le Mémoire sur la construction de la carte d’Egypte et de Syrie, E. M . tom, I I , 2.‘ partie, page. r.