
 
		nouveau  cette  question,  qui  jusqu’à  ce  jour,  il  faut  l’avouer,  n’a  été  éclairée  
 d’aucune  vraie  lumière :  le  résultat  le  plus  positif que  nous  ayons  vu  ressortir  de  
 tant  de  témoignages  différens  et  de  leur  rapprochement,  c’est  l’incertitude  complète  
 où  l’on  est  sur  cette  époque/mais  aussi  en même  temps  la  haute  antiquité  
 de  ces  constructions  extraordinaires.  Ce  qu’il  y  a  de  mystérieux  dan?  l’origine  
 des  pyramides,  nous  allons  le  retrouver  dans  la  recherche  de  leur  destination  :  
 cependant  on  peut  arriver  ici  à  quelques  résultats  moins  douteux;  car,  suivant  
 l’expression  du  judicieux A ’bd  el-Latyf,  « ces  édifices  nous parlent encore aujour-  
 »  d’hui  de  ceux  qui  les  ont  élevés,  et  nous  racontent  d’une  manière  très-intel-  
 «  iigible  les  progrès  qu’ils  avoient  faits  dans  les  sciences,  et  l’excellence  de  leur  
 »  génie  (i).  » 
 Si  nous  sommes  dans  une  obscurité  presque  complète  sur  l’époque  de  la  fondation  
 des pyramides  et  les noms  de  leurs  fondateurs, un  voile  presque aussi  épais  
 s’étend  sur  l’objet  de  ces  édifices;  et  il  ne  pouvoit  guère  en  être  autrement,  car  
 les  historiens  anciens  et  les  écrivains  Arabes  n’ont  pas  eu  le moyen  de  les  con-  
 noître mieux les  uns  que  les  autres.  Il  étoit naturel  que  l’on  considérât  ces monumens  
 comme  appartenant  à des  tombeaux, à des mausolées.  Cette  idée,  au  fond,  
 n’a  rien  que  de  conforme  à  la  vraisemblance  et  sur-tout  à  celle  qui  se  tire  de  
 l’analogie  : puisque la montagne Libyque1, àMemphis,  ne présentoit  pas,  comme à  
 Thèbes,  ces  flancs  élevés  qui  furent  ouverts  pour  les  sépultures  des  rois,  n’au-  
 roit-on pas  cherché à  y suppléer  par des  constructions! Peut-être  encore aura-t  on  
 voulu,  par  des  proportions  gigantesques,  par  les  difficultés  colossales  de  l’entreprise, 
   rivaliser  avec  la  richesse  des  tombes  royales  souterraines. 
 Mais  avec  cette donnée, quelque probable  qu’elle soit, on  n’expliqueroit  jamais  
 ( il  s’en  faut )  le  travail  des  pyramides  et  tout  ce  qu’un  examen  attentif y  fait  
 découvrir,  et  d’abord  l’idée  première  du  choix  de  la  forme  pyramidale.  Vainement  
 on  a  cité  les  pyramides  de  l’Inde  pour expliquer  celles  de  l’Egypte;  trop  
 de  dissemblances  les  distinguent:  dans  les  unes  tant d’ornemens  frappent  la  vue,  
 dans  les  autres  tant  de  simplicité ;  là  tant  de  bizarres  additions  où  la  forme  
 élémentaire  disparoît,  ici  tant  de  soin  à  la conserver  sans  altération  :  d’un  côté,  
 l’extrême  complication  des  détails  produisant  des  masses  de  forme  tourmentée ;  
 de  l’autre,  cette  pureté  de  lignes,  caractère  de  la  précision  géométrique.  Ces  
 différences  et  bien  d’autres  ne  permettent  pas  de  considérer  les  pyramides  de  
 l’Inde comme  l’origine  de  celles  de Memphis  :  il  est  d’ailleurs  bien  plus  croyable  
 que  c’est  le  type  le  plus  simple  qui  a  été  altéré  par  le  temps  et  défiguré  par  des  
 imitateurs. 
 Quoi  qu’il  en  soit,  si  nous  accordions  que  l’idée  de  pyramide  emporte  celle  
 de  tombe,  seroit-on  fondé  à  conclure qu’aucune  autre  vue  n’a présidé  à l’érection  
 de ces grands monumens! nous ne le  croyons pas. Comment admettre, par exemple,  
 chez  une  nation  aussi  religieuse  que  l’Egypte,  que  la  religion  et  ses  mystères  
 étoient  étrangers  au  but  qu’on  se  proposa  en  élevant  les  pyramides!  D’un  autre 
 ( i )   Voye^  ci-dessus,  p.  187.  C’est  aussi  le  jugement  que  nous  avons  toujours  porté  des - monumens  d’Egypte  
 dans  le cours de  cet  ouvrage. 
 côté,'  ne  seroit-ce  pas  écarter  tout  à fait  l’explication  que  donne  de  ces  monumens  
 le  plus  profond  observateur  de  1 antiquité,  Aristote,  qui  les  attribue  à  la  
 politique des princes!  Enfin, quand on a médité  sur le  choix de  la forme donnée  à  
 ces  édifices,  sur  les  proportions  et  le  rapport des.  parties,  sur  1 orientation  exacte  
 des  faces  et  bien  d’autres  circonstances  non  moins  frappantes,  peut-on  assurer  
 que  les sciences, ou  des  vues  scientifiques,  n’ont pas présidé  à  leur  construction!  
 Ces  assertions  seroient  toutes.également  inadmissibles.  Je  conviens  que  la  perfection  
 du  travail  et  de  la  construction peut  s’expliquer par  le  degré  auquel  étoit  
 parvenue alors l’architecture,  et que  toute espèce  de  monument public  devoit être  
 exécutée avec  la plus  grande  attention ;  mais  ici  il  y  a  surabondance  de  soins,  de  
 précautions minutieuses,  pour  la  solidité,  pour  le  fini  de  1 appareil;  1 architecte  a  
 été  guidé par  l’astronome,  et  l’appareilleur par le géomètre.  D ’autres,  avant moi,  
 ont  douté  que  la  pyramide  ait  ete faite  pour  servir  de  tombeau  ( i ) ; mais  on  a eu  
 tort  de  nier  qu’aucune  partie  de  l’édifice  ou  du voisinage  ait  reçu  cette  destination  
 :  c’est  une  distinction  qu’il  me  paroît  important  d établir.  Apres  ces  vues  
 générales,  exposons  les  faits  principaux  et  leurs  conséquences. 
 Diodore  et  Strabon  avancent  que  les  rois  ont  fait  faire  les  pyramides  pour  
 leur  sépulture;  mais,  sur  ce  point,  le  témoignage  d’Hérodote  est moins  direct;  
 Chéops, dit-il, avoit  creusé,  dans la colline où  sont les pyramides, plusieurs chambres  
 souterraines  destinées  à  sa  sépulture,  laquelle  étoit  placée  dans  une  île  que  for-  
 moit  un  canal  tiré  du  fleuve.  II  est  bien  ici  question  de  la’  tombe  du  roi;  mais  
 elle  paroît  étrangère  au  monument  pyramidal  lui-même,  loin  de  supposer  que  
 celui-ci  ait  été  construit  pour  celle-là.  Quant  à  Pline,  il  ne  dit  pas  un  seul mot  
 de  la  destination  funéraire  des  pyramides;  il  ne  parle  que  de  la  renommée  de  
 ces  merveilles  du monde,  et  il  les  attribue  a  I ostentation,  ou  a  la  prudence,  ou  
 à  la  politique  des  rois. 
 Les  autres  écrivains  Grecs  ou  Latins  ne  disent  rien  non  plus  de  cette  destination  
 de  la  g r a n d e   pyramide.  Cependant  Servius,  parlant  des  pyramides  en  
 général, et à propos d’un  sépulcre décrit par Virgile, avance  que l’usage d’élever des  
 pyramides au-dessus des morts  venoit  d un  autre plus  ancien,  d enterrer  les  morts  
 sous  les montagnes  :  Apud majores,  nobiles,  aut sub  montibus  altis,  aut in  ipsis mon-  
 tibus, sepeliebantur : unde natum est, ut  super cadavera aut pyramides fièrent,  aut in ¡rentes  
 collocarentur  columnæ  {2).  On  ne  sauroit  ici  appeler  en  témoignage  la  description  
 du  tombeau  de  Porsenna  roi  d’Étrurie,  laissée  par  Pline  (3)  d après  Varron,  
 parce  que  les  quatorze  pyramides  qu’il  décrit  paroissent  plutôt  ressembla  à  des  
 obélisques, à  en  juger  d’après  leurs  dimensions.  Quant  a  la  pyramide  de  Cestius  
 à  Rome,,  c’est  une  imitation  en  petit,  dont  il  n est  pas  permis  de  conclure  la  
 destination  primitive  des  grands  monumens  pyramidaux. 
 Il  est  vrai  que  plusieurs  auteurs  Arabes  ont  regardé  les  grandes  pyramides  
 comme  des  tombeaux; mais ils  ne  se  sont  déterminés sans doute a embrasser  cette 
 (  Ï  )  Shaw,  Voyages en Barbarie, & c „  et Langlès , Notes sur le  Voyage de Norden,  ton..  I I I , p.  3 14 et suiv. 
 (2)  Serv.  in  Virg.  /En.  Iib.  XI,  v.  849  ( t.  I I ,  p.  1153,  Leovard.  i11-4.’ ,  1727  ). 
 ( 3 )   Plin.  Hist.nat.  Iib.  X X X V I,  c a p .  x i u .