sur celle de la destination des monumens : ainsi, quoique très-générale, elle ne
sera peut être pas sans utilité.
Quel est le site qui a été choisi pour rétablissement des pyramides! quelle est
leur position topographique !
Ce point est à l’origine de la Thébaïde ou de la haute Egypte, et au sommet
de l’évasement triangulaire qui existe entre la mer et les deux montagnes constituant
le bassin de l’Égypte inférieure. Au-dessus, les montagnes Libyque et
Arabique suivent fidèlement le cours du fleuve à une distance presque constante,
et elles sont garnies de rochers nus, dont les flancs s’offfent par-tout à l’exploitation.
Au-dessous, les montagnes s’abaissent en même temps qu’elles s’éloignent; elles
finissent même par se confondre avec le sol et par disparoître. Le terrain fertile
compris dans ce vaste triangle est plus étendu, plus peuplé, que tout le reste du
pays, et il l’a toujours été au temps de la prospérité de l’empire.
Dans la Thébaïde, il étoit aisé de mettre en pratique l’usage prescrit pour les
funérailles, c’està-diie, de transporter les morts dans les hypogées de la montagne,
là où leurs restes ne pouvoient être troublés par les débordemens du Nil, tandis
que, dans la basse Égypte, cette condition étoit très-diificile à remplir. Cette
habitude est tellement inhérente au pays et d’accord avec les idées des habitans,
qu’aujourd’hui même, après tant de siècles et de révolutions religieuses, les tombes
sont encore dans les terrains sablonneux ou au-dessus du niveau des inondations.
Quand la montagne est plus près d’une rive que de l’autre ( comme je 1 ai vu à
Saouâdy), on transporte les morts de l’autre côté du fleuve : jamais ils ne sont
déposés dans le terrain fertile, si l’on en excepte cependant quelques rares tombeaux
de santons qu’on a élevés dans la plaine, et qui sont placés exprès sur les chemins
comme objets de la dévotion des musulmans ; encore souvent sont-ils élevés sur
des buttes factices, à l’abri des eaux du Nil.
En réfléchissant à l'origine de cette pratique, consacrée depuis par un si long
usagé, il semble manifeste que par-là on vouloit tirer parti d’un terrain perdu,
toujours improductif, savoir, les sables et les montagnes, et en même temps ne
perdre aucune portion du terrain cultivable. Creuser des catacombes dans le rocher,
c’étoit encore employer un grand nombre de bras, c’étoit fournir des matériaux
aux monumens publics ; c’étoit occuper beaucoup d’hommes que réduisoit
à l’inaction le débordement annuel.
Chaque ville de la haute Égypte avoit ses hypogées creusés dans les rochers
du voisinage : dès qu’on voit, en effet, des catacombes en quelque point de cette
vallée, on est assuré de trouvér tout près de là des vestiges d’habitations anciennes;
et réciproquement, si l’on aperçoit des buttes de ruines quelque part, on découvre
en même temps des grottes dans les montagnes voisines ; c’est ce que j’ai vu partout
Cette pratique a été suivie pendant un grand laps de siècles ; car les villes
ruinées dont il s’agit appartiennent à des époques successives d’une durée plus ou
moins longue. Or il n’est aucunement vraisemblable que le pays inférieur se soit
écarté d’une habitude aussi universelle en Égypte que l’embaumement et la sépulture
souterraine. Suivant les temps et les lieux, elle a pu avoir certains réglemens particuliers;
mais, en un point aussi capital, on ne peut admettre qu’une partie des habitans
se seroit écartée de la loi commune. Maintenant, dans une'étendue de terrain
limoneux quia cinquante lieues sur quarante, comment creuser des catacombes durables!
et dans quels lieux déposoit on les morts pour satisfaire à l’usage général!
Je conjecture que c’est le local des pyramides qui peut avoir servi dé sépulture
à la basse Égypte. Tout ce désert est rempli cte tombes et d’excavations : depuis les
plus simples jusqu’aux plus somptueuses, le nombre en est immense; personne
n’a vu la fin des tombes dont le sol est jonché. On venoit de l’intérieur des deux
Delta, et des autres parties du pays inférieur, par le moyen des canaux et des
branches du Nil, et l’on entroit dans le prétendu Achéron qui couloit près dés
pyramides (i). C ’étoit le dernier canal à traverser. Au-delà, rien que la mort; le
champ de mort s’étendoit indéfiniment. Le transport des morts à travers les canaux
du Nil devoit employer un grand nombre d’hommes, et c’êtoif encore là une
institution politique. La multitude des barques funèbres qui étoient nécessaires à
ce transport, explique celles qu’on .voit par-tout sur les papyrus, dans les peintures
des grottes, dans les cérémonies funèbres et sur presque tous les monumens.
Ce local étoit commodément et heureusement situé à l’évasement de la vallée
d’Égypte, c’est-à-dire, au point de concours, des bras et canaux de l’Égypte
inférieure ; on ne pouvoit en choisir de plus favorable à ce dessein. S’il en est
ainsi, dès les temps les plus reculés, et pendant une longue suite d années, le plateau
qui étoit au nord de Memphis fut fréquenté par toute la population, et le rendez-
vous de la basse Égypte. C ’est ainsi qu’il acquit cette célébrité qui le fit choisir
pour y élever les pyramides ; et peut-être cette circonstance n est-elle pas étrangère
aux causes qui ont présidé à l’érection même de la ville de Memphis.
A la vérité, il résultera, comme conséquence de cette explication, une relation
manifeste entre les pyramides de Memphis et l’idée de tombeau : mais comment
contester un fait que j’ai admis d’ailleurs dans tout le cours de ces recherches! on
ne sauroit nier ce rapport, il est établi sur la tradition. Or, s il est constant, comment
d’autres faits certains ne concourroient-ils pas à le confirmer! et quelle conjecture,
si elle est plausible, pourroit y être contraire! On ne peut donc prétendre
avec fondement que l’idée de tombeau ait été étrangère à l’érection des pyramides
en générai : ce que j’ai soutenu est que les grandes pyramides ont été assujetties dans
leur construction à des conditions particulières, que la science s’en est emparée,
et qu’elle y a déposé, peut-être même voulu cacher des résultats importans (2), que
la méditation découvre aujourd’hui. Dans ces monumens, et dans la p r em iè r e
pyramide sur-tout, la destination funéraire n’est pas, il s en faut de beaucoup,
l’objet principal, et il n’est pas même prouve que jamais aucun roi y ait été placé
après sa mort.
(1 ) Voyez Descript. de Memphis et des Pyramides, corps embaumés. On a vu dans la Description d’Atliribis,
A . D . chap. X V I I I , sect. I l , p pp. Nous ne prétendons A . D . chap. X X , que les ruines renferment des vestiges
pas toutefois que ce local fut l’unique cimetière de toute la de momies.
population de l’Égypte inférieure. Le Delta pouvoit avoir (2) Qui sait si le génie mystérieux qui semble avoir
ses tertres funéraires, artificiellement élevés au-dessus de présidé aux travaux scientifiques des collèges d Egypte,
. l’inondation; et les déserts à l’est de la branchePélusiaque, n’a pas lui-même créé la tradition qui a fait passer la
à l’ouest de la Canopique, étoient propres à recevoir les GRANDE pyramide pour la sépulture d’un roi!