»vases réussissoient parfaitement, il falloit encore les manier avec dextérité,
» de sorte que ceux qui connoissoient l’art de jouir, que rarement les poëtes
»ignorent, n’aimoient pas, dans le,urs parties de plaisir, à se servir de coupes
» si précieuses et si fragiles, comme on le voit par ces vers de Martial :
» T'allé, puer, calices, tepidi toreumata N i l i ,
» E t mihi securâ'pocula trade manu,
" » T r i ta patrum labris. » *
Les Egyptiens, qui âvoient cté obligés de porter à Rome la quantité de verre
voulue par le traite, ne tardèrent pas à être dédommagés de cette avanie : le goût
pour la verrerie devint si décidé et si général dans cette ville et dans toutes celles
de 1 Italie, que cette quantité, loin clé contenter les caprices du luxe, servit à le
rendre tellenaent exigeant, que les fabriques de Memphis et de Sidon ne purent
satisfaire à toutçs les demandes [k ].
On ne savisa, ni dans les unes, ni dans les autres de ces fabriques, de donner
aux Romains la connoissance des procédés par lesquels on obtenoit les beaux
produits qui faisoient l’objet de leur. admiration : ils cherchèrent à les découvrir
; leurs efforts furent longVtemps inutiles : mais enfin, sous le règne de
Tibere, ils apprirent, soit par tradition et à prix d’argent, soit par suite d’heureuses
expériences^ que, si la pureté des matières contribuoit à la_beautc du
verre des Egyptiens et des, Sidoniens,, il devoit sa bonté à l’attention qu’on
avoit de le tenir long-temps en bonne fusion et de recuire ( i ) ensuite les
vases fabriqués avec ce verre, c’est-à-dire, de les refroidir par_degrés et d’une
manière insensible!'
Cest a la connoissance, alors acquise par les Romains, de Îa fusion complète,
de 1 épuration parfaite de la matière, et du refroidissement lent des pièces confectionnées
pour les rendre moins fragiles, qu’on doit réduire ce fameux secret
que Pline dit, sans cependant l’afîjrmer, avoir été trouvé sous Tibère (2), et qui
donnoit un verre flexible, ou même malléable, suivant d’autres * auteurs plus
credules et plus amis du merveilleux; sinon, il faudrait supposer sans vraisemblance
(3), avec Henckel, que ce verre n’étoit autre chose que de la lune cor-
nee [IJ. Bientôt les fabriques que les Romains établirent, ne cédèrent en rien à
celles de Memphis et de Sidon : on trouva également le moyen de colorer le
verre avec les oxides métalliques [m ], et le moyen de le peindre (4) ; on porta
sur-tout le verre blanc à la plus grande perfection, puisque Pline assure que,
( 1 ) La recuite etoit en effet la chose la plus impor- qu’il n’y a pas de métal qui soit plus ductile, plus
tante à pratiquer : elle donnoit aux molécules du verre malléable, que le verre lorsqu’il est rouge.
Egyptien un arrangement, ou, comme à celles des mé- (3) Je dis, sans vraisemblance; et cependant, suivant
taux, une cristallisation qui ajoutait à la force qui les Neumann, en mettant en fusion la lune cornée, oi^en
unissoit. * d ^ . g fait un verre qui plie, et qui est en quelque, façon mal-
On sait que les verres, tels que bouteilles, gobelets, & c ., léable, et on forme différentes figures au tour et^dans
refroidis promptement, se brisent d’eux-mêmes sans des moules. Les mines de Quantajaia, sur la mer du Sud,
éprouver e choc. ^ donnent de belles masses vitreuses d’argent corné, mais
(2) Ceux, dit M. Chaptal, qui cherchent à retrouver le non employé comme verre.
prétendu verre malléable des anciens, ne veulent pas voir ( 4 ) Fit et tincturoe genere obsidian um, ad escaria vasti,
de son'temps, on én faisoit des vases qui imitoient tellement ceux de-cristal de
roche, qu’on pouvoit à peine les discerner les uns des autres, et qu’on prenoh
tant de plaisir à boire dans ces vases de cristal factice, qu’on avoit abandonné
ceux d’or et d’argent (i). Des succès aussi brillans excitèrent l’émulation de tous
les peuples de l’Empire : on vit des fabriques de verre se multiplier dans l’Italie,
dans l’Espagne, dans les Gaules (2) ; par-tout on rencontra des matériaux propres
à les alimenter, par-tout on chercha et on trouva les moyens de les rendre
florissantes.
Mais les arts suivent la destinée des empires. Les révolutions qui anéantissent
ceux-ci,' sont également fatales à ceux-là : l’art de la verrerie et celui de l’émail,
tous deux inventés par.les Égyptiens, et communiqués par eux aux Grecs, puis
aux Romains, furent détruits, ou au moins forcés de se cacher, lors de l’invasion de
l’empire Romain par les barbares sortis du Nord. Le dernier de ces arts [n ] n’a
commencé à reparaître en Italie (3) que long-temps après cette invasion, et ne
s’est montré eh France (4 ) qu’en l’année 1555. Pour retrouver l’autre, il paraît
qu’il a fallu que les Européens allassent le rechercher dans l’Orient à l’époque
des croisades, ou qu’ils pussent le recueillir lorsque, chassé de Constantinople
avec les autres arts par Mahomet, il vint se réfugier avec eux en Italie sous la
protection tant de Léon X que de Côme-ie-Grand, et en France sous celle
de François I.er
Quels pouvoient être alors les procédés de cet art, sans doute dégénéré,
puisqu’il venoit, ou de l’Égypte occupée par les Arabes, ou de Constantinople
devenue le tombeau des Grecs abâtardis! Aucun auteur que nous connoissions
na transmis ces procédés, et nous ne pouvons les deviner qu’en considérant
ceux qui sont encore pratiqués parmi nous, dans des verreries qui, depuis leur
naissance, dit M. Chaptal, n’ont changé ni leurs fourneaux, ni leur composition,
ni leur manipulation, et qui sont telles que Louis IX les a fondées en
et totum rubens vitrüiti atque non translucens, hæmatinon
appel latum. Fit et album et murrhinum, aut hyacinthos
sappliirosque imitatum, et omnibus aliis coloribus. JVec est
alia nunc inatéria sequacior, aut etïampicturoeaccommoda-
tior : maximus tamen honos in caridido translucentibus,
quàm proximâ crystalli similitudine. (PHn. Hist. natur.
Iib. XXXVÏ , cap. 26.)
Le moyen des ancienipour peindre sur le verre n*est
pas connu: il consistait, sans doute, comme celui qu’on
a trouvé et pratiqué en France en 1540, à appliquer sur
le verre des couleurs avec un pinceau, à placer les
pièces ainsi peintes dans un fourneau qu’on chauffoit
assez fort pour faire pénétrer les couleurs dans le. verre
sans le déformer, et pas assez foible pour rendre' nulle
cette pénétration.
(1) Vitri usus ad potandum pepulit auri argentique
metalla. (Plin. ibid.)
S. Exupère, évêque de Toulouse au v.* siècle, se
servoit de calices de verre, non par un caprice pareil à
celui dont parle Pline, mais parce qu’il avoit vendu
ceux d’or et d’argent pour soulager les pauvres. Les
autres évêques ne voulurent employer ni calices de verre,
ni calices de bois : JVon'lignea, quia porosa ; non cenea,
quia contrahunt xruginem : sed ex nobili conflato metallo
adhibenda statuii concilium Remense.
JVeronis principatu, reperta vitri arte , modico s duos
calices, quos appellabantpterotos, H . S. sex millibus fuisse
vendîtes. ( Plin. ibid.)
( 2 ) Jam vero et in Vulturnq mari Italiæ arena alba
nascens, quce mollissima est, pila molâque teritur, ¿te.
Jam vero et per Gallias Hispaniasque simili modo arena:
temperantur, ¿7c. (Plin.)
(3 ) Des Toscans, cherchant peut-être, dit Bayen , à
imiter la porcelaine que les navigateurs apportaient de
la Chine, retrouvèrent le moyen d’émailler des vases
de terré, de faire ce que nous appelons de la faïence.
Celle que le duc d’Urbin fit faire à Castel-Durantf, étoit
enrichie des plus belles couleurs.
(4) Le secret des Toscans étoit ignoré en France à
cette époque. On présente à un homme de génie, à
Palissy, une coupe de terre tournée et émaillée : il
l’admire ; il veut en faire une pareille, il travaille pendant
quinze ans, il se ruine, il s’endette, mais enfin il
réussit.