
été traité accessoirement : peut-être même ne sera-t-il pas inutile d’en rappeler
quelques mots à la fin de ce Mémoire avec des éclaircissemens (i).
Cet écrit avoit pour objet spécial les mesures linéaires et superficielles de l’ancienne
Egypte, base nécessaire de la géographie comparée. Il n’entroit pas dans le
plan du Mémoire d’approfondir davantage la population de l’Egypte; aujourd’hui
j’entrerai dans de nouveaux développemens, en recherchant d’abord quelle a pu
être la population de la ville de Thèbes.
Quelque réduction que l’on fasse subir à cette ancienne capitale, et quand bien
même les maisons d’habitation n’auroient pas eu quatre ou cinq étages, comme
l’atteste Diodore (2), il est impossible de ne pas lui accorder une population
très-considérable. En effet, sa superficie, même restreinte à 2000 hectares, supposerait,
d’après l’exemple de la ville de Paris, 4yo à 500 mille habitans (3). Mais,
en comprenant dans la ville, comme paraît l’exiger l’examen attentif des passages,
toutes les ruines situées jusqu’à la porte du nord-est, même à l’exclusion de celles
de Med-a moud et de 1 hippodrome au sud de Louqsor, la superficie est portée à
3400 hectares (4 ), précisément celle de Paris actuel, qui a 3407 hectares. Ainsi,
que 1 ancienne population de Thèbes ait pu être de 700000 habitans, c’est ce
qui me paroît possible, sur-tout en combinant tous les élémens de la question
avec la superficie des ruines visibles; savoir, l’étendue immense des catacombes
qui servoient de tombeaux à la population, celle des ruines enfouies partiellement,
la largeur de la vallée et la fertilité du sol aux environs, les grands ouvrages d’art
qui supposent une multitude innombrable d’ouvriers en tout genre, indépendamment
des artistes proprement dits, des peintres, des sculpteurs et des conducteurs
de travaux; mais il faudroit descendre jusqu’au sol même de l’ancienne
Thèbes, aujourd’hui caché sous trois à quatre mètres de limon, pour obtenir sur
l’espace habité une certitude absolue.
On objectera que les monumens qui sont distribués sur la superficie de la ville
doivent en être distraits, si l’on veut calculer le nombre des habitans. L ’objection
serait fondée si, après avoir fait une évaluation des quartiers les plus habités, je
1 étendois à toute la surface ; mais je ne procède pas ainsi. Le Kaire a une population
d environ 263700 individus répartis sur une surface de 593 hectares. Il
en résulte 444 habitans par hectare; cette population n’est pas celle des endroits
les plus peuplés, qui monte à près de 800. C’est une proportion moyenne qui n’est
applicable quà la recherche d’un résultat total. Or, ce terme moyen, je le réduis
encore a moins de la moitié pour Thèbes, c’est-à-dire, 206 habitans par hectare.
C e terme n’est pas trop fort, puisque la capitale actuelle a plus d’édifices publics,
selon toute apparence, qu’il n’y en avoit dans l’ancienne. Celle-ci avoit, à la vérité,
des temples plus grands et plus magnifiques; mais aujourd’hui le nombre des
mosquées est bien plus considérable, et, en outre, il y a une multitude d’autres
(1) Voyez, à la fin de ce Mémoire, les Notes et Éclair- feroic que 790 hectares. II est évident que ce nombre
cissemens (E ) . exprime la superficie d’un des quartiers de Thèbes, et
(2) Lib. 1, cap. 45. non celle de la ville entière. (A d Pompon. Mel. Iib. 1,
(3) Selon un scholiaste d’Homère, cité par Isaac Vos- cap. 9. )
sius, la ville, açv, avoit 3700 aroures, Tÿ ' : ce qui ne (4) Voyez les Notes et Éclaircissemens (F ).
bâtimens publics servant aux usages civils, et dont rien n’annoiice que les Thébains
aient connu l’usage, tels que les citernes, les hôpitaux, les tombeaux intérieurs, les
grands okels ou magasins publics, &c., sans parler des écoles, des jardins et des
bains qui ont pu exister comme au Kaire. Il est vrai que je laisse dans Thèbes le
grand hippodrome de Medynet-abou, de même que l’on comprend le Champ de
Mars dans l’enceinte actuelle de Paris. Mais le Kaire a aussi son hippodrome, qui
est le vaste emplacement appelé Qarâmeydân, auprès de la citadelle, sans parler
des grandes places publiques, telles que el-Roumeyleh, Birket el-Fyl, et sur-tout
la place el-Ezbekyeh, trois fois plus grande que notre place Louis XV.
Si, au lieu du Kaire, on prend Paris pour terme de comparaison, le raisonnement
n’aura pas moins de force. En effet, il y a dans Paris une plus grande multitude
de monumens publics, de lieux vagues ou même bâtis, et qui ne sont point
peuplés; or on a égard à tous ces lieux inhabités, quand on prend le tenne moyen,
et ce terme est de 209 § habitans par hectare. Je le réduis encore pour Thèbes,
et, en faisant cette réduction, je trouve que cette ville a pu loger environ
700000 habitans (1).
Il existe un ancien passage qu’on pourrait regarder ici comme capital : en effet,
grâce aux lumières de la science moderne, il seroit propre à décider la question
de la population ancienne de l’Egypte à une époque mémorable, si l’historien
eût rapporté fidèlement et sans méprise les traditions du pays, ou si les prêtres et
les interprètes lui eussent dit la vérité, ou enfin si son texte étoit parvenu jusqu’à
nous sans altération. Selon Diodore de Sicile, le père de Sésostris ordonna que
tous les enfans nés le même jour que son fils seroient élevés avec lui (2). Lorsque
ce prince entreprit sa grande expédition, les compagnons de son enfance étoient
au nombre de plus de 1700; il choisit parmi eux ses principaux officiers, espérant
trouver en eux des hommes sûrs et dévoués.
Il faudroit connoître à quel âge étoit parvenu Sésostris au moment de l’expédition,
et, par la loi de mortalité, on retrouverait le nombre des naissances correspondant
à 1700, et par conséquent la population. Dans un Mémoire que l’historien
de l’académie des inscriptions et belles-lettres, pour l’année 1762, a
extrait au tome VI de la collection de cette académie, Dupuis critique l’opinion
de Goguet, qui regardoit avec raison comme faux et trop grand le nombre de
1700 : mais tous deux admettent comme démontrée une population de 27 millions
d hommes, ou même plus grande; c’est-à-dire qu’ils supposent ce qui est en question.
Ils cherchent l’un et l’autre à juger de la vraisemblance du passage, en supposant
la population connue. C ’est la voie opposée qu’il falloit prendre. Je ne suivrai
pas leur exemple, et je chercherai au contraire à deviner la population, s’il est
possible, par le nombre des compagnons de Sésostris.
Goguet et Dupuis ne se sont pas bornés à supposer connue la population de
Egypte; ils sont encore tous les deux tombés dans une erreur inexplicable, en
calculant le nombre des naissances. Admettons un moment la population de
(1) C ’est aussi 1,1 population qu’Étienne de Byzance (2) Diod. lib. I, cap. 53, 54. — C e passage prouve que
donne à Diospolis : ’ArU/nôswr Jï/we*.Jkf i-ftaxomaç. Ion enregistrait soigneusementles naissances jour par jour.