Chez presque tous les peuples on voit des constructions pyramidales : doit-on
en conclure que tous, en les élevant, avoient en vue un dessein commun, et
chercher à découvrir ce dessein ! ou bien faut-il admettre qu’ils les ont élevées à
l’imitation les uns des autres! Cette dernière opinion, jusqu’à un certain point
soutenable pour l’ancien continent, n’a plus d’application dès qu’on songe, aux
pyramides Mexicaines ( i). Quant à la première, elle ne sera jamais qu’une source
de doutes insolubles. Il faut donc renoncer à ces hypothèses, malgré leur apparence
de probabilité. Qu’y a-t-il d’étonnant que par-tout le génie de l’homme, après s’être
exercé dans les travaux des arts, ait cherché à porter ses ouvrages à une hauteur
la plus grande possible, et comme pour rivaliser avec ceux de la nature ! Je parle
ici de l’idée primitive, de la pensée originelle des inventeurs ( s’il y en a eu), et non
de ce qu’elle est devenue au moment où l’on projetoit l’érection de la g r a n d e
pyramide, après avoir été élaborée, perfectionnée par le collège de Memphis, pour
tourner à l’utilité des sciences.
L’Egypte ne présente point dans ses montagnes ces pyramides naturelles qui
frappent les yeux des voyageurs dans les grandes chaînes de l’Asie, de l’Europe et
de l’Amérique. Il existe dans celles-ci des pyramides parfaites pour are gularité et
la symétrie (2). Quel plus beau spectacle, quoi de plus majestueux et de plus imposant,
que ces inébranlables masses î Quelle image plus frappante d’une solidité
indestructible! Les Indiens, les Américains, ont eu ces types sous les yeux : n’au-
roient-ils pas été inspirés par de pareils modèles! Mais les Égyptiens, où ont-ils
puisé celui de leurs pyramides! A la vérité, l'Ethiopie supérieure renferme, au
milieu de ses chaînes de montagnes primitives, des pics élevés, des pitons élancés
et se détachant des masses voisines à une grande élévation. Ainsi les Égyptiens ont
pu imiter un type naturel existant vers les sources du Nil ; ou bien ils auront adopté,
comme dans le choix de la figure des obélisques, une forme qu’ils comparoient
aux rayons du soleil (3 ), rapprochement qui est bien dans les idées religieuses de
la nation. Nous laissons au lecteur à préférer entre ces dernières explications celle
qui lui paroîtra la plus vraisemblable.
C ’est aussi ce que nous devons faire à l’égard des autres questions qui viennent
d’être agitées sur l’objet et la destination des pyramides, principalement sur la fin
pour laquelle la g r a n d e pyramide fut érigée. S’il est presque impossible d’assigner
cette fin d’une manière certaine, il ne le seroit guère moins de prouver que la
( i ) Mon dessein étoit de comparer Tes pyramides de me livrer sans faire sortir cet écrit des bornes qui lui sont
Memphis avec celles de plusieurs autres lieux de l’Egypte, assignées. Par le même motif, je n’introduirai pas dans
tels que Mohammery eh dans la haute Egypte, Atryb dans l’Appendice, comme I’avoit demandé mon compagnon
la basse, et même avec les imitations que les Romains en de voyage, M. Gratien Le Père, des détails anecdotiques
ont faites au tombeau de Porsenna et dans la pyramide sur le site des pyramides, les tribus Arabes qui le fré-
d eC . Cestius, sur-tout avec celles de l’Inde et duMexique, quentent, et les faits historiques dont il a été le théâtre;
quelque différence quil y ait entre les unes et les autres, je renvoie, pour ces derniers, à l’histoire militaire de
J’aurois cherché s’il y avoit quelque rapport entre les l’expédition Française,
pyramides et les obélisques. Enfin j’aurois cité de petits (2 ) Lettrés de Deluc, t. V , p. 415.
nionumens, portatifs et votifs sans doute, auxquels (3 ) Plin. Hist. nat. Iib. X X X V I, cap. V I I I : Trabes ex
les Egyptiens ont donne la forme exacte des pyramides eo ( syenite lapide ) fecere reges quodam certamine, obeliscos
pures; mais ce travail exigerait seul un mémoire entier: vocantes, solisnumini-sacratos.Radiorwneiusarginnentwn
c’est un vaste sujet de recherches, auquel je ne pourrais in effigie est, et ita significatur nomine Ægyptio.
destination de l’édifice étoit uniquement de servir de tombeau. C’est au lecteur à
juger de la valeur des argumens et des considérations qui sont sous ses yeux, et de
les comparer avec les faits et les observations. Il tirera d’abord lui-thême de tous
ces faits dbux conclusions : la première, que ce grand monument ne fut pas destiné
à un usage unique; la seconde, que les dimensions de la pyramide Sont dés
parties aliquotes de la grandeur du degré terrestre en Egypte. De ces deux résultats,
qui semblent incontestables, le lecteur déduira peut-être ensuite cette conséquence,
que la pyramide paroît avoir reçu les dimensions qu elle porte, non pas fortuitement,
mais par suite du dessein de constater la valeur du degré, et la longueur
des mesures usuelles en Egypte (-1 ).
Quelques mots sur l’origine du mot pyramide finiront cette partie du mémoire :
comme c’est un point déjà traité avec de grands développemens par Un profond
orientaliste (2), je ne dois pas m’étendre sur ce sujet.
§. V.
D e l’ Origine du Nom des Pyramides.
B e a u c o u p d’explications du mot pyramide ont été proposées-: qüelques-unes
d’entre elles ne supportent pas la discussion; d’autreS, quoique non aussi absurdes,
sont inadmissibles; plusieurs enfin, présentées par des savans très-recommandables,
laissent l’esprit incertain, parce que leur degré de vraisemblance est à peu près le
même. Nous ferons ici une remarque applicable à d’autreS càs analogues ; c’est
que l’on a cherché dans le mot telle ou telle racine, suivant le but Ou l’objet qu’on
supposoit à la pyramide : mais, selon nous, la voie contraire est celle qu’il faudroit
suivre ; découvrir la véritable racine du mot, pour nous éclairer sür la destination
du monument. Autrement c’est expliquer l’inconnü par l’inconnu, c’est supposer
ce qui est en question.
Cette difficulté n’est pas la seule; il en existe une autre encore plus grartdè:
cherchera-t-on le sens du mot dans le grec, ou dans le qobte, ou dans les racines
communes aux langues Orientales, parlées par des peuples qui ont eu beaucoup de
rapports avec l’Egypte, telles.que l’hébreu et l’arabe! Ainsi, pour bien juger de la
convenance étymologique du mot dont il s’agit, il faüdroit être parfaitement certain
de l’objet des pyramides, et aussi de la langue à laquelle leur nom appartient.
Par ces réflexions, nous ne prétendons rien diminuer du mérite ou de l’utilité
des recherches savantes qui ont été faites à ce sujet; mais accepter pour incontestable
telle ou telle étymologie, après tout ce que nous avons dit plus haut sur le
but et la destination de ces monumens, c’eût été admettre, contre notre conviction,
que la g r a n d e pyramide n’étoit autre chose que la sépulture d’un roi, ou
adopter toute autre opinion également exclusive.
(1) Voyez dans les Antiquités-AL ¿moires, tome l . tr, le (2) Observations sur l’origine du nom donne par les
Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens, Crecs et les Arabes aux pyramides d’Egypte, par M. Silprincipalement
chap. 111 et X I I . vestre de Sacy ( Magasin encyclop. t. V I , p. 4 4 6 à 503 ).