mais celle des elpèces étant confiante, leur permanence
fait la duree, 6c leur différence le nombre. Comptons*
donc les efpèees comme nous l’avons fait, donnons-
leur à chacune un droit égal à la menfe de la Nature ;
elles lui font toutes également chères-, puifqu’à chacune'
elle a donné les moyens d’être, & de durer tout auiïf
long-temps qu’elle.
Faifons plus, mettons aujourd’hui I’efpèce à la place
de l’individu ; nous avons vu quel étoit pour l’homme
le fpeclacle de la Nature, imaginons quelle en feroit
k vue pour un être qui repréfenteroit l’efpèce humaine'
entière. Lorfque dans un beau jour de printemps, nous-
voyons la verdure renaître, les fleurs; s’épanouir, tous-
les germes éclore , les abeilles- revivre , l’hirondelle
arrivdr, le roflignol chanter l’amour, le bélier en bondir,
le taureau: en mugir , tous les êtres vivans fe chercher
& fe joindre pour en produire d’autres; nous* n’avons*
d’autre idée que celle d’une reproduction & d’une
nouvelle vie. Lorfque dans la faifon noire du froid &
des frimats l’on voit les natures devenir indifférentes;,
fe fuir au lieu de fe chercher, les habitans de l’air
déferter nos climats-, ceux de l’eau perdre leur liberté
fous des voûtes de glace, tous les infeéies difparoître
ou périr, la plupart des animaux s’engourdir, fe creufer
des retraites, la terre fe durcir , les plantes fe fécher,
les arbres dépouillés fe courber, s’affàiffer fous le poids
de la neige & du givre ; tout préfente l’idée de la
langueur & de l ’anéantiffement. Mais ces idées de-
-renouvellement & de deftruétion, ou plutôt ces images
de la mort & de la vie , quelque grandes, quelque
générales qu’elles nous paroiffent, ne font qu’individuelles
& particulières; l’homme, comme individu,
juge ainfi la Nature, l’être que nous avons mis à la
place de l ’efpèce la juge plus grandement, plus généralement
; il ne voit dans cette deftruétion , dans
ce renouvellement, dans toutes ces fucceflïons que
permanence <3t durée; la faifon d’une année eft pour
lui la meme que celle de l’année précédente, la même
que celle de tous les fiècles; le millième animal dans
l’ordre des générations, eft pour lui le même que le
premier animal. Et en effet, fi nous vivions, fi nous
fubfiftions à jamais, fi tous les êtres qui nous environnent
fubfiftoient auffi tels qu’ils font pour toujours,
& que tout fût perpétuellement comme tout eft aujourd’hui,
l’idée du temps s’évanouiroit Si l’individu
deviendrait l ’efpèee.
Eh pourquoi nous refifferions-nous de confidérer la
Nature pendant quelques inftans fous ce nouvel afpeét !
à la vérité l’homme en venant au monde arrive des
ténèbres; lame auffi nue què le corps, il naît làns
connoiflànce comme fans défenfe, il n’apporte que des
qualités pafftves, il ne petit que recevoir les impreffions
des objets & laiffer affeéter fes organes, la lumière brille
long-temps à fes yeux avant que de l ’éclairer ; d’abord
il reçoit tout de la Nature & ne lui rend rien ; mais dès
que fes fens font affermis, dès qu’il peut comparer fes