4 o H i s t o i r e N a t u r e l l e
élever que la nuit; tout annonce leur misère, tout nous
rappelle ces monftres par défaut, ces ébauches imparfaites
mille fois projetées, exécutées par la Nature, qui
ayant à peine la faculté d’exifter, n’ont dû fubfifter qu’un
temps, & ont été depuis effacées de la lifte des êtres ;
& en effet, fi les terres qu’habitent & l’unau & 1 ai
n’étoient pas des déferts; fi les hommes & les animaux
puiffans s’y fuffent anciennement multipliés, ces efpèces
ne feroient pas parvenues jufqu a nous, elles euffent
été détruites par les autres, comme elles le feront un
jour. Nous avons dit qu’il femble que tout ce qui
peut être , eft, ceci paraît en être un indice frappant ;
ces pareffeux font le dernier terme de l’exiftence dans
l’ordre des animaux qui ont de la chair & du fang ; une
défeéluofité de plus les aurait empêchés de fubfifter,
regarder ces ébauches comme des etres aufïï abfolus
que les autres; admettre des caufes finales pour de
tels difparates ; & trouver que la Nature y brille autant
que dans fes beaux ouvrages , c ’eft ne la voir que par
un tube étroit, & prendre pour fon but les fins de
notre efprit.
Pourquoi n’yauroit-il pas desefpeces d animaux creees
pour la misère, [puifque dans l’efpèce humaine, le plus
grand nombre y eft voué des la naiftànce J Je mal a la
faut une grande Journée pour faire un quart de lieue. Hi)toire de
VOrenoque, par Gumilla, tome 11, page 13. Nota. C et A uteur eft
le feul qui fur le fait de la lenteur de ce? animaux m e paroiflè avoir
approché de la vérité.
Vérité
vérité vient plus de nous que de la Nature; pour un
malheureux qui ne i’eft que parce qu’il eft né foible, impotent
ou difforme , que de millions d’hommes le font par
la feule dureté de leurs femblables. Les animaux font en
général plus heureux, l’efpèce n’a rien à redouter de fes
individus ; le mal n’a pour eux qu’une fource ; il en a deux
pour l’homme, celle du mal moral qu ilalui-meme ouverte
, eft un torrent qui s’eft accru comme une mer, dont
le débordement couvre & afflige la face entière de la terre,
dans le phyfique au contraire,le mal eft refferré dans des
bornes étroites, il va rarement feul, le bien eft fouvent
au-deffus, ou du moins de niveau : Peut-on douter
dy bonheur des animaux, s’ils font libres , s ils ont la
faculté de fe procurer aifément leur fubfiftance, & s’ils
manquent moins que nous de lafànte, des fens & des
organes néceffaires ou relatifs au plaifir î or le commun
des animaux eft à tous ces égards très-richement doue,
& les efpèces difgraciées de l’unau & de 1 ai , font
peut-être les feules que la Nature ait maltraitées, les
feules qui nous offrent l’image de la misère innée.
Voyons-la de plus près; faute de dents, ces pauvres
animaux ne peuvent ni fàifir une proie, ni fe nourrir
de chair, ni même brouter l’herbe; réduits à vivre de
feuilles & de fruits fâuvages, ils conftiment du temps à
fe traîner au pied d’un arbre, il leur en faut encore
beaucoup * pour grimper jufqu’aux branches ;& pendant
* A ucuns eftiinant cette bête vivre feulement de feuilles d un certain
arbre nom m é en leur langue Amahut: cet arbre eft haut de élevé
Tome X I 11. F