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beaucoup ; & aujourd’hui il y en a infiniment moins
que dans le temps de l’arrivée des Efpagnols. La chair
de ces animaux n’eft pas fi bonne que celle des huanacus ;
on ne les recherche que pour leur toifon & pour les
bézoards qu’ils produifent. La manière dont on les
prend prouve leur extrême timidité, ou fi l’on veut,
leur imbécillité. Plufieurs hommes s’affemblent pour les
faire fuir & les engager dans quelques partages étroits où
l ’on a tendu des cordes à trois ou quatre pieds de haut,
le long defquelles on lairte pendre des morceaux de
linge ou de drap ; les vigognes qui arrivent à ces partages
font tellement intimidées par le mouvement de ces
lambeaux agites par le vent, qu’elles n’ofent parter
au-delà, & qu’elles s’attroupent & demeurent en foule,
en forte qu’il eft facile de les tuer en grand nombre;
mais s’il fe trouve dans la troupe quelques huanacus ,
comme ils font plus hauts de corps & moins timides
que les vigognes, ils fautent par-deflîis les cordes, &
dès qu’ils ont donné l’exemple', les vigognes fautent
de même &. échappent aux chaffeurs *.
A l’égard des vigognes domeftiquesou pacos, on
s’en fert comme des lamas pour porter des fardeaux ;
mais indépendamment de ce qu’étant plus petits ou
plusfoibles ils portent beaucoup moins; ils font encore
plus fujets à des caprices d’obftination ; lorfqu’une fois
ils fe couchent avec leur charge , ils fe laifteroient
* Voyage de Frézier, pages i g 8 ù" 1 gj/>
plutôt hacher que de fe relever. Les Indiens n’ont
jamais fait ufage du lait de ces animaux, parce qu’ils
n’en ont qu’autant qu’il en faut pour nourrir leurs petits.
Le grand profit que l’on tire de leur laine avoit engagé
les Efpagnols à tâcher de les naturalifer en Europe ;
ils en ont tranfporté en Efpagne pour les faire peupler,
mais le climat fe trouva fi peu convenable qu’ils y
périrent tous *. Cependant, comme je l’ai déjà dit,
je fuis perfuadé que ces animaux , plus précieux encore
que les lamas, pourroient réuffir dans nos montagnes,
& fur-tout dans les Pyrénées ; ceux qui les ont tranf-
portés en Efpagne n’ont pas fait attention qu’au Pérou
même elles ne fubfirtent que dans la région froide,
c ’eft-à-dire dans la partie fa plus élevée des montagnes;
ils n’ont pas fait attention qu’on ne les trouve jamais
dans les terres baffes , & qu’elles meurent dans les
pays chauds ; qu’au contraire elles font encore aujourd’hui
très-nombreufes dans les terres voifines du détroit
de Magellan , où le froid eft beaucoup plus grand que
dans notre Europe*méridionale, & que par confisquent
il falloit pour les conferver les débarquer , non pas en
Efpagne, mais en Êcoffe ou même en Norvège, &
plus furement encore aux pieds des Pyrénées, des
Alpes , &c. où elles euffent pu grimper & atteindre
la région qui leur convient; je n’infifte fur cela que
parce que j ’imagine que ces animaux feroient une
excellente acquifition pour l’Europe , & produiraient
b Hiftoire des Aventures des Flibuftiers, page 3 6 7 .
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