
CHAPITRE XVI.
Madrid et retour en France par Sar'agdsse et les Pyrénées'.
Je passerai très-brièvement sur mou séjour à Madrid, qui ne dura que huit
jours; cette capitale e'tant‘tissez connue par les relations de la plupart des
voyages dans la Péninsule, je me bornerai à quelques détails sur ce que j ’y
vis ayant trait aux sciences naturelles. J’eus en premier lieu un très-vif
plaisir à faire la connaissance du vénérable Lagâsca qui vivait encore à cette
époque et exerçait mèmè lès fonctions de professeur et de directeur du
Jardin Botanique. Plein de zèle -pour1 son étude favorite, son imagination
caressait encore de nombreux projets, celui de la publication de quelques
parties de la Flore d’Espagne,, et d’un ouvrage général sùr les ‘ céréales,
sujet des études dé toute_ sa vie ; mais ses forces, la vieillesse et surtout l’ëxil
et tes malheurs l’av aient déjà beaucoup affaibli. D’ailleurs, (Sut lui eût manqué
pour de pareils travaux, la presque totalité de ses notes et de ses collections
avait été perdue dans le Guadalquivir lors de sa fuite éii Angleterre,
à la seconde invasion français; il n’avait presqu’aucun des livres modernes
indispensables, et enlin l'es embarras du gouvernement qui ‘ne payait presque
plus ses'employés, le laissaient dans un état de gêne voisin de la misère. Il
restait encore à cet excellent homme une singulière jeunesse de coeur; paternellement
accueilli par lui comme disciple deDe Candollè pour lequel il professait
beaucoup d’amitié et une grande estime, je visitai sous sa direction le
célèbre Jardin Botanique. Cet établissement, contigu'a la promenadedu Prado,
est remarquable par son étendue ; les plantes y sont rangées suivant la méthode
de Linné, chaque espèce dans un compartiment un peu enfoncé Où l ’eau
arrive par un petit canal, les pieds sont en général, nombreux, d’une belle
venue et fournissent de nombreux échantillons pour les démonstrations botaniques.
Les allées sont bordées à l’ancienne manière d’ifs taillés, de buis et
un magnifique berceau de vignes qui date de la fondation du jardin en fait lë
tour. Il n’y a dans cet établissement point de serres chaudes, mais deux orangeries
très-étendues ; on y trouve peu de ces plantes introduites dans tes nôtres
depuis 1e commencement de ce siècle ; mais il en conserve encore un grand
nombre de celtes que Cavanilles, Lagasca et Ortega nous ont fait connaître, et
c’est ce qui 1e rend surtout intéressant. Il serait à désirer qu’il renouât avec tes
autres grands jardins d’Europe des relations maintenant presqu’interrompues et
qui seraient si utiles à tous. Quelques espèces exotiques se sont d’elles-mêmes
naturalisées dans presque toute l’étendue du jardin, telles sont Iloffmanseqgia
falcata, Nicotiana scabça, Pdscaliq glauca, Solanum leprosum, etc., etc. Un édifice
très-vaste contient une bibliothèque riche en ouvrages anciens mais dans
laquelle ceux çlç ce siede et meme des dernieres années du dernier manquent
tout à fait; on cherche maintenant chaque année à combler cette lacune, mais
les fonds sont malheureusement insuffisants. Je vi^ là, avec un immense intérêt,
l herbier classique de Cavanilles, il est dans un petit format et assez en
désordre; grâce à l ’obligeance de Lagasca j ’y pus vérifier quelques doutes,
mais on ne peut pas toujours se fier à l ’authenticité des échantillons; pendant
les Jon gu^i années de troubles et de guerre où tous les établissements
scientifiques étaient, qomme abandonnés, t quelques employés livrés à eux-
memes mal,payés et dans la misère, ont commis à ce qu’il paraît des
déprédations que les professeurs actuels,'-soit insouciance, soit crainte de
faire de fâcheuses découvertes, ne se pressent pas de constater. C’est ainsique
sous prétexte de'plefs égarées, on nè put me montrer 1e contenu d’une longue
rangée d armoires vitrées qui renferment 1e précieux herbier péruvien de Pavon
Plantes recueillies par Hænke en Amérique et aux Philippines. Ces
annoires contiennent aussi l’herbier du botaniste Née, collecteur cité souvent
par Lagasca, et qui voyagea longtemps au Mexique, et dans diverses contrées
d’Espagne. Lagasca me fit voir des plantes recueillies autrefois par lui-même
dans 1e royaume de Léon et tes Asturies; mais je regrettai infiniment de ne
pouvoir parcourir une collection tenue aussi sous clef et formée par Clémente
dans la partie orientale du royaume de Grenade. J’eusse trouvé là, sans doute,
bien des renseignements précieux et des richesses nouvelles à ajouter à mon
travail. Près de la porte du jardin est un édifice plus petit où l ’on conserve
tes magnifiques dessins reunis par Mutis pendant ses longues années de séjour
dans la Colombie, ils sont dans un grand format, très-nombreux et tous
peints d’après nature; dans 1e même local, de nombreuses caisses renferment
tes immenses collections formées dans ce même pays par ce botaniste, elles
sont là depuis vingt ou trente ans, sans qu’on ait pensé a tes ouvrir ! Que de
trésors qui dorment et se détériorent! On y voit encore une collection en
nature des céréales de Lagasca, les figures et manuscrits de la suite encore
inédite de la flore péruvienne de Ruiz et de Pavon.
J’eus 1e plaisir de faire aussi la connaissance de M. 1e professeur Rodriguez,
qui depuis a succédé à Lagasca, et qui est connu dans les sciences par divers
travaux relatifs à la flore espagnole. M. Rodriguez, natif de Séville, a herboa
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