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d’entre'e, et du côté de l ’Albaycin on ne voit qu’un assemblage confus de
tours carrées suspendues au bord d’un précipice ; mais une fois entré |dans
l’intérieur on est saisi d’admiration, d’émotion presque, à la vue de ces lieux
pleins de souvenirs si récents; tout y respire encore les habitudes orientales et
cette vie en plein air ; les eaux, les bassins aux bords ornés de fleurs, les
parterres s’y associènt aux merveilles de l’architecture. N’y cherchez point la
grandeur des proportions, les enfilades prétentieuses des palais modernes,
les salles sont en général de peu d’étendue, mais quelle grâce dans ces colon-
nettes disposées par groupes et soutenant des arcades rétrécies à la base, dans
ces fenêtres ou agimez réunies deux à deux et soutenues aussi par des colonnes,
dans ces voûtes creusées en stalactites bizarres, dans ces arabesques capricieuses
et peintes de mille couleurs qui ornent les murailles! Ravi, je m’empressai
de payer le gardien, non point pour qu’il vînt m’expliquer le palais, mais
pour qu’il m’y laissât seul, et je me mis à errer dans ces lieux romantiques,
une vieille chronique du temps à la main, entièrement transporté à cette époque
chevaleresque> évoquant l ’ombre des guerriers sarrazins et m’attendant
presque à Voir sortir de ces fenêtres grillées la tête voilée et la blanche main
d’une de ces héroïnes qui exaltaient leur courage. On a si souvent déçût
l ’Alhambra que je m’arrêterai peu à en parler; la cour ou le patio
des lions est une de Ses parties les plus remarquables : c’est un carré long
entouré d’un portique et sur les petits côtés duquel s’avancent deux pavillons
soutenus par une forêt de colonnes ; les lions en pierre qui soutiennent
le bassin du milieu sont grossièrement sculptés^ cette inhabileté
ne surprend pas, la religion musulmane interdisant la représentation d’objets
animés. On observe une seconde infraction à ce principe dans trois
peintures très-curieuses sur le plafond d’une salle voisine; elles représentent
des combats de chevaliers et des scènes de chasse, le dessin en est
incorrect, la perspective nulle, mais les figures ont une expression remarquable.
Cet ouvrage date très-certainement de la première enfance de
l’art et par conséquent d e là domination arabe, mais on ne sait s’il faut
1 attribuer a un chrétien captif ou a un Maure, à qui l’on aurait permis
par exception d’orner ainsi cette galerie. Dans la salle des Abencerrages
on voit encore le bassin où roulèrent les tètes de trente-six guerriers dé
cette famille, tradition qui, pour le dire en passant, ne paraît xiçn moins
qu’avérée et dont on ne retrouve aucune trace dans les ouvrages contemporains.
Cela n’empêçhe pas qu’on ne montre encore dans le bassin
des traces de sang conservées miraculeusement comme preuve de l ’innocence
des Abencerrages. Le peuple de Grenade prétend même qu’ils étaient
secrètement convertis au christianisme, et qu’on entendit plusieurs de ces
tête& invoquer en roulant le nom de notre Seigneur.
La plus vaste et la plus imposante de toutes ces salles est celle de Coin
ares ou des ambassadeurs, sa décoration peut donner une idée de celle
de tout l ’édifice*. Des dalles de pierre ou des briques forment le pavé,
d’autres briques colorées ou vernies couvrent le bas des murs jusqu’à
4 ou 5 pieds du sol, tout le reste de la hauteur est occupé par des arabesques
moulées en stuc et entremêlées de sentences arabes souvent répétées,
telles que celles-ci : « Louange à Dieu.— Il n’y a d’autre vainqueur que
Dieu. » Ces arabesques étaient autrefois couvertes de dorures et dé couleurs
maintenant effacées, mais qu’on retrouve encore dans quelques places.
Le plafond est en forme de coupole et artistement travaillé en pendentifs;
Du charmant belvedère appelé Tocador de la Régna ou toilette de la reine>
mais que sa situation à l’orient et d’autres circonstances font regarder avec
plus de probabilité comme un lieu de prières, on a une vue magnifique
sur les alentours romantiques de l’Alhambra, et sur Grenade bâtie au
milieu d’un terrain si inégal qu’il n’ est aucun point d’ou l’on puisse la
découvrir tout entière.
Chose triste à penser, ce palais, dernier reste d’une civilisation aujourd’hui
éteinte, se dégrade chaque jour et l’on peut prévoir le temps où
il n’existera plus; les murs construits presqu’entièrement enterre avec une
très-petite quantité de chaux se lézardent, les bois se pourrissent, et l’administration
locale qui du reste prévient ces dégradations autant qu’il est
en elle, § manque de fonds suffisants pour réparer. Autour de l’Alhambra
et [sur le même plateau, on trouve encore plusieurs vieilles tours qui en
faisaient autrefois partie, et sont aujourd’hui les unes désertes, les autres
habitées par de pauvres familles. Je retrouvai dans leur intérieur les restes
d’ornements semblables à ceux du palais, mais la main du temps les efface
tous les jours. Par un poétique contraste, une nature toujours jeune et
vivace entoure et couvre ces décombres de masses*de verdure; rien n’est
beau sous ce rapport comme le ravin qui court au pied de l’Alhambra
du côté de l’est : là les murs en ruines sont cachés par d’épais tapis de
lierre, par des lianes entrelacées de la vigne sauvage, du smilax et d’autres
plantes grimpantes.
Le Généralife,- situé un peu plus haut que l’Alhambra- sur le même
groupe de collines et devenu aujourd’hui propriété particulière, n’a cou