
»s’étendait, dans un profond ravin, le village d’ïgualejaç à notrè gauche s’ouvrait
la vallée du Rio Guenal, parsemée ?de nombreux hameaux. Tant de côtes
et de fissures si profondes eoupent^ee pays, que les communications Sont souvent
longues et difficiles entre des points très-rappfochés; et son'seul ^pect
fait comprendre comment les troupes françaises ne purent jamais s’y maintenir,
et quelles ressources y trouvent lés contrebandiers et les voleurs.
3 Nous descendîmes à Igualejaau milieu d’une forêt de chênes .-.liège et de
châtaigniers. Les fruits de ce dernier arbre, très-abondant dans la Serrania, forment
une partie essentielle dé la nourriture de ses habitants, comme en Corse
et en Sicile. Des haies de ronces, d’épine blanche et plusieurs autres plantes
de l’Europe moyenne,, inconnues sur le littoral, indiquaient un climat plus
froid et plus humide. Je remarquai cependant encore au fond de la vallée des
«oliviers etmême quelques*orangers dansles jardins. Le village est^sez grand; ses
rues étroites, ses maisons^ antiques et dégradées, ornées quelquefois de vieilles
armoiries placées au-dessus de la porte, avaient un tout autre aspect que «celui
des bourgades de la-côte; on pressentait de grandes dissemblances dans les
moeurs et les habitudes des populations. Nous nous arrêtâmes peu à Igualeja;
notre guide me pressait de nous remettre en route, il se défiait des serranos
ses compatriotes, dans ce moment surtout où l’approche de la foire augmente
le nombre des voyageurs. Nous avions encore trois lieues à faire, disait-il,
et il prétendait que c’était une bonne précaution que de ne pas laisser à ceux
qui auraient pu avoir quelque tentation de vol, le temps de s’embusquer quelque
part sur la route. Je cédai à d’aüs'si sages raisons et nous gravîmes avec un
nouveau courage la montagne pelée qui nous séparait de Ronda.
Chemin faisant, je rencontrai quelques plantes intéressantes, entre autres une
iCr- nouvelle espèce de Réséda, mais chaque halte provoquait les lamentations du
guide qui voyait avec désespoir la journée s’avancer, et me déclarait que si je
continuas de la sorte il ne répondait plus de rien. Sur ces entrefaites, nous
rencontrâmes au milieu d’un défilé une troupe de gens à cheval qui revenaient
de la ville; notre homme échangea quelques paroles avec l ’un d’entre eux,
srobuste gaillard à la figure franche et ouverte, revêtu comme les autres du
costume complet de majo. Dès ce moment je vis sa figure s’épanouir, il me
dit que nous .n’avions plus rien à craindre et que je pouvais cueillir des herbes
tout a mon^aise, dussions-nous n’arriver à Ronda qu’après minuit, que le^cava-
lier que je venais de Voir était un dés plus valienîes du pays? et que puisqu’il
venait de passer sur la route, sa seule présence avait à coup sûr fait décamper
tous les rateros qui auraient pus’y trouver. Ce personnage, riche habitant du
village dont nous sortions* unissait probablement à cette qualité celle de chef
de contrebande, et une réputation bien établie de bravoure personnelle lu1
Sonnait dans ce pays encore sauvage, le lustre et la*toute-puissancë*d’un condottiere
du moyen-âge.
Les mpntag^s que nous traversions sont formées d’un calcaire qui me parut
avoir lq* plus grands rapports avec- celui de Jura. Dans les plateaux qui en
occupent la«partie siîpécieure, les couches horizontales et« dénudées étaient
souvent percééS, comme dans, cette dernière chaîne, de nombreuses crevasses
assezdàrgfes, mais d’un à deux'pieds de profondeur seulement, et les habitants
de "quelques huttes voisines, dans léür pénurie de terrain cultivable;-avaient
utilisé; en y Jemant du seigle, le fond de ces dépressions mieux garni que le'
reste d’un terreau végétal. Plus loin s’étëndaiént des landes arides ornées de
toûffes éparses du Poeonia lobatà,m et doùt la végétatiôn:së composai^ principalement
des Helianthemum rebellum. et piliferïim et de YHippbçrepis comosa. Ce
pays était désert et inhabité,'à l’exception de quelques ..troupeaux de brebis qui
paissaient çàet là et dont le b er^ r, enveloppé danFsofi man teau, s"e dessinait en
silhouette aux rayons du soleil coüchant, sur quelqu’une des éminençès unes
et, arrondies qui bornaient l’horiznn, La nuit ^tombairlorsque nous commençâmes
à ^dëscendre^du côfe de RÉnda; notre gùide^contrebandier comme
tout Serrano, et pour qui chaque jointe de rocher était un souvenir, me faisait
oublier la longueur de la route en me racontantes expéditions pendant
les nuits d’hiver, et les dangers qu’il avaiUcourus dans çes montagnes âpres et
pierreusèÿ’à l’époque où elles sont couvertes de neige. Je. commençais à craindre
qülmous.ne noùs^ég#àssforis nous-mêmes, au sein de l’obscurité, car aucun
repaire ne nous guidait sur la pente uniforme et inculte que nous suivions,
lorsque j ’apérçus enfin quelques lumières et les vieilles murailles en ruine qui
entourent'Ronda de ce côté. Quel ccmtçaste entre ce pays sauvage que nous venions
dé'quitter et les rues’bien éclairées encore et remplies d’une foule joyeuse,
qui attendait avec impatiencèdes fêtés'du lendemain! Je me demandais où
j ’iraisllescendre dans cette ville encombrée d’étrangers ; il n’était pas question
de trouver de la place dans les posadas, et je n’avais pu faire retenir uû logement
•comme on le fait d’habitude . Par un heureux hasard,Je rencontrai quelques
amis de Malaga à qui je dis mon embarras, et, grâce à eux, je fus installé quelques
moment après chez un honnête eseribano qui, ainsi'que la pluspart des habi-
tantsf loùait les appartements disponibles de sa maison pour le temps de la foire.
Ronda est si tué à peu près à deux mille cinq ceùts pieds au-dessus de la mer,
aussi y jouit-on d’un-air vif et sain ; les chaleurs n’y sont jamais excessives et les