puis que les routes sont intercepte'es par les carlistes, et l’on nous dit qu’il
faut une escorte, même pour venir de Figuières, qui n’est qu’à deux lieues
d’ici.
La plupart de ces gens ^ont des paysans ou des miqueletes, espèce de
soldats irre'guliers ; ils portent tous des espartilles, souliers en chanvre fort
commodes pour gravir les montagnes ; j ’entame la conversation avec eux
pour commencer à mettre en pratique mes connaissances en espagnol : ils
me comprennent, mais je n’entends guère leur langue qui a plus de rapport
avec les patois du midi de la France qu’avec le castillan. Rien de
plus enchanteur que cette navigation le long des rivages de la Catalogne;
ce doit être encore bien mieux un mois plus tard lorsque la nature est
plus développée. C’est une succession de montagnes peu eleve'es, mais aux
formes variées, et toutes couvertes de pins maritimes; de temps à autre,
elles s’ouvrent pour laisser arriver à la mer un vallon riant et bien cultive'
où repose, aüx bords de la plage, quelque bourgade aux maisons d’une
blancheur éclatante. Partout, avertie par le signal du bâtiment, la population
masculine, coiffée uniformément du long bonnet rouge, est assemblée
pour nous voir passer. Nous nous arrêtons ainsi successivement à Pa-
lamos, Sitges, San Feliu et Lloret. Tous ces endroits ont un air d’ordre
et de prospérité, ils ont eu peu à souffrir des incursions des carlistes qui
ne trouvent pas de sympathie sur la côte ; c’est la partie la plus industrieuse
du pays et peut-être de toute l ’Espagne ; les habitants sont, comme
on sait, bons constructeurs de vaisseaux, hardis marins, et il n’est pas rare
de les voir traverser l’Atlantique sur leurs frêles bâtiments. Déjà, avant Ma-
taro, les montagnes ont disparu, le pays s’aplanit et devient plus fertile, les
villages se multiplient et une foule de maisons de campagne les réunit à
Barcelone qui s’étale majestueusement en plaine au pied d’une chaîne de
collines verdoyantes.. Au midi de la ville et au bord de la mer, est un
monticule conique nommé Montjouy, couronné d’un fort que sa position
rend à peu près imprenable.
L’aspect de Barcelone est plus européen que celui d’aucune autre cité
de la péninsule et moins frappant pour un étranger. Les femmes y ont
cependant conservé en général la poétique mantille ; elle est noire et garnie
de dentelles pour celles de la classe supérieure, blanche ou de couleur
ppur les autres. Rien de gracieux comme cette coiffure à laquelle quelques
élégantes commencent cependant à substituer le chapeau qu’elles rejetteraient
bien vite si elles comprenaient le charme du costume national,
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Les hommes du peuple sont coiffés de la longue gorra qui leur sert de
poche et d’entrepôt pour tout ce qu’ils portent sur eux ; ils sont pittoresquement
drapés dans leur monta, couverture quadrillée, ornée de glands
et de broderies, et le plus souvent frangée par la misère et la vétusté.
Je n’avais que le reste de la journée à passer à Barcelone, je n’en vis
guère que le port, la belle promenade de la Muraille de mer et la Ram-
bla, allée plantée d’arbres, où la foule circulait. Le soir j ’eus grand plaisir
à assister à une tertulla, soirée espagnole où un ami m’introduisit,
et où je trouvai bien moins de couleur locale que je ne m’y étais
attendu, mais beaucoup de cette gaieté, de cette cordialité et de cette
absence de prétentions qui est un des traits les plus agréables des peuples
du midi. On dansait au piano, non point le fandango et le boléro, mais
bien la mazurque, le galop et les quadrilles les plus nouveaux de Paris.
Je remarquai plusieurs des dames, inféodées en quelque sorte à leurs cor-
tejos, espèce d’amants ou de fiancés qui ne les quittaient point et montaient
la garde assis à leurs côtés avec un sérieux et une taciturnité qui m’amusèrent.
Partis le 4 avril au matin, nous continuâmes notre route vers le
sud. Vers l’embouchure duLlobregat, une échappée entre les collines me
laissa voir le Mont-Serrat, âpre cime isolée, découpée en dents pointues, et
dont la vue répond bien à l’idée que l’imagination s’est faite de ce lieu
consacré jadis à la solitudë et à la dévotion. La hauteur et la configuration
de cette montagne la rendraient sûrement fort intéressante pour des
recherches botaniques; elle n’a cependant été visitée jusqu’ici que par
Quer et quelques autres anciens auteurs. Vers midi, nous arrivâmes devant
Tarragone ; une demi-heure auparavant, on nous avait fait remarquer
sur les collines de la côte, au milieu d’un bouquet de chênes verts, un
monument consacré aux Scipions et fort curieux par ses inscriptions ; mais
le pays était si infesté de bandits, qu’il n’aurait pas été prudent d’y aller
de la ville sans une forte escorte.
Tarragone est assez grande mais délabrée ; elle est bâtie au haut d’une*
colline rocailleuse qu’il faut près d’un quart d’heure pour gravir. Parmi
les antiquités romaines qui y abondent, j ’admirai surtout de grands murs
de construction cyclopéenne qui faisaient partie de l’ancienne enceinte de
la ville; mais ce qu’on y trouve de mieux, à mon avis, c’est une vue
très-étendue sur la mer et sur une riche vallée toute parsemée de
yillages, avec la ville de Reuss à deux lieues de distance. Je vis là en