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quelques régiments dont la tenue et Pair de misère faisaient pitié'
; les factionnaires eux-mêmes montaient la garde en guenilles et avec des
fusils rouilles. On faisait réparer activement les fortifications par de nombreuses
bandes de presidiarios ou galériens > enchaînes deux à deux, et
qui traînaient des charrettes avec un bruit et des chants qui me rappelèrent
la joie infernale des damnés dans le Dante.
A mesure que nous marchions vers le midi, la végétation était plus
avancée; à Tarragpne, le bord des chemins était orné- $ jlsphodelus j î s -
tulosus en fleur, et les champs remplis d’Hypecoum grandiflorum, belle
espèce que Pon n’a trouvée encore qu’en Roussillon, en Catalogne et dans
les environs de Madrid. Nous passâmes de nuit les attérissements de l ’Ebre;
c’est un point oh la .cote extrêmement basse, se confond avec la mer, et
qui est dangereux pour la navigation si Pon n’a pas soin de se tenir fort au
large. Au point du jour et après une nuit assez orageuse, nous nous trouvâmes
par le travers du golfe de Valence, ayant au nord le cap d’Oropesa et
au sud celui de Saint-Vincent dont l’extrémité, à cause du grand éloignement,
semblait détachée de la terre comme un îlot avancé. La côte, entre ces
deux caps, nous paraissait circonscrite à l’horizon par des chaînes irrégulières
de montagnes peu élevées ; elle est assez basse, d’une verdure admirable; et
toute parsemée de villages et de bouquets d’arbres; à chaque moment nous
nous rapprochions de la terre, je découvrais quelque nouveau détail qui me
charmait, et je reconnaissais bien là ce beau royaume de Valence, ce nou veau
paradis terrestre chanté par les poètes et célébré dans tous les temps et par
tous ceux qui l’ont parcouru.
CHAPITRE II.
Valence..
A peine arrivés .de vant le Grao, port de Valence, ,nous, fumes accostés , par la
chaloupe du brick français en station. Elle vint nous avertir de nous, tenir
sur nbs gardes et de ne prendre terre qu’à bonnesjS«enseignes; le pays était
dans le plus grand désordre à cause de l’approche débandes carlistes qui, la
yeille même, étaient venues aux portes du Grao. La plupart des habitants dé çe
village n’osaient plus passer la nuit que dans le port à bord de quelques petits
bâtiments. Il était fort désagréable de débarquer au milieu d’une pareille bagarre,
mais je n’avais pas d’autre parti à prendre, le Phocéen repartant le soir
même pour la France. Une foule de portefaix et de tcirtaneros, espèce de
voituriers, nous attendait sur la jetée' pour se disputer notre pratique avec un
acharnement qui me rappella le peuple de Naples, mais il y avait quelque
chose de plus décidé et de plus féroce dans les physionomies Valenciennes.
La douane faisait toujours son service, mais les préposés, qui mouraient de
peur, ne nous retinrent pas trop'longtemps ; ils n’avaient garde de passer la
nuit dans le Grao, et se retiraient tous les soirs de bonne heure à Valence.
Cette capitale n’est qu’à une petite lieue de la mer, et par bonheur le chemin
était libre, les carlistes craignant fort mal à propos que de fortes sorties
de la ville ne les coupassent s’ils s’avançaient trôp de ce côté. On fait le trajet
dans des tartanes, voitures à deux roues, non suspendues, bombées par
dessus et ressemblant en petit à un omnibus ; le cocher est àssis les jambes
pendantes sur une planché à côté du brancard. Je ne crois pas avoir jamais été
cahoté d’uné manière aussi abominable, c’était à en perdre la respiration; la
route est une large allée toute droite, bordée de peupliers blancs, bien tenue
autrefois, mais où le malheur des temps a laissé accumuler les fondrières. Ce
suppliée ne m’empêchait pas d’accorder toute mon admiration au pays que
nous traversions et qui est une des plus belles parties de la célèbre Huerta
de Valence. Qu’on se figure un véritable jardin divisé en cultures admirablement
soignées et déjà verdoyantes dans cette saison, arrosé par des ruisseaux
subdivisés à l’infini, et ombragé par une forêt de mûriers et d’arbres
fruitiers où l’oeil s’égare et du sein de laquelle un palmier élève çà et là sa
cime gracieuse. Partout, sous ces arbres, ôn trouve de petites maisons blanches
construites sur le même modèle, avec un toit de paille à deux pans ét
une petite croix à chaque extrémité ; elles servent d’habitation et de grenier
aux labradores, cultivateurs de ces campagnes. Un quart d’heure avant Valence,
nous découvrîmes les nombreuses coupoles de ses clochers et de ses
édifices, resplendissantes aux rayons du soleil, et nous arrivâmes bientôt après
au bord du Guadalaviar qui borde de ce côté les murs de la ville. Les nombreux
ponts qui traversent cette rivière, plusieurs arcs-de-triomphe et d’anciens
couvents d’une grande étendue reportent, par la magnificence de leur
architecture, aux temps de splendeur de l’ancienne monarchie espagnole, et
présentent le plus saisissant contraste avec la misère et la terreur actuelle.
Tout était désert; nous nous présentâmes à une première porte qu’on avait