
la Sierra, de Mijas : c’est en effet la même nature de terrain, un calcaire
compacte et brillant mêle' de sable. Le long des vignes qui, sur ce versant,
s’élèvent très-haut, j’observai les tiges desséchées d’une sauge à feuilles très-
odorantes et j ’en recueillis les graines qui depuis m’ont fourni une des plus
belles plantes d’ornement que j ’aie rapportées d’Espagne. Vers le haut de
cette zone d’arbustes commence le Cistus laurifolius qui est très-abondant
pendant le second tiers de l’ascension ; tout près de là , le guide nous montra
de loin le premier pinsapo ; poussant des cris de joie nous courons pleins
d’émotion, mais hélas, l’arbre ne portait point de fruits, un second, un
troisième me donnent successivement de fausses espérances, enfin je suis
assez heureux pour en apercevoir un dont les branches supérieures sont
chargées de cônes dressés. On se hâte de grimper pour les recueillir, et
il ne nous reste plus de doute sur le genre de cet arbre singulier. C’était
certainement un Abies voisin de notre sapin blanc ; mais très-distinct par la
brièveté et la disposition de ses feuilles et par les écailles bractéales de ses fruits
plus courtes et non plus longues que les écailles carpellaires. Le principal but de
mon excursion était atteint, et je m’acheminai vers le sommet de la montagne
avec un nouveau courage, malgré une pluie fine et un brouillard qui ne permettait
pas d’y voir à une grande distance ; ce ciel brumeux était d’ailleurs pour
nous, en Andalousie, une nouveauté presqu’agréable. Une fois entrés dans
la région alpine, je retrouvai une foule de vieilles connaissances de la Tejeda
et de la Nevada, Phlomis crinita, Erodium trichomanefolium, une variété
très-velue de VAstragalus aristatus, Ononis dumosa, YErinacea, etc. Mes
compagnons, M. Prolongo surtout, qui n’avait encore herborisé que dans
la plaine, s’étonnaient de la richesse de cette flore, et étaient déjà impatients
de revenir l’étudier dans une saison plus favorable. Dans la partie supérieure
de cette Sierra, les pentes sont très-douces, la croupe très-étendue
Ct occupée par de petits plateaux et par des bassins ou dépressions peu profondes.
On y voit des bosquets formés d’un chêne qui, par son port, ressemble
à un pommier, mais atteint 3o ou 4° pieds de hauteur; la forme
assez curieuse et très-variable de ses feuilles, sa station supérieure de près de
2000 pieds à celle du Quercus faginea et quelques autres caractères me le font
envisager comme une espèce distincte, et des échantillons en fleur que j ’ai
reçus depuis, m’ont montré que c’était le même que j ’avais observé au printemps
entre Igualeja et Honda. L’étude des chênes de l’Espagne est encore
bien loin d’être complète, à cause des variétés nombreuses qu’ils présentent
et de la différence de leurs feuilles suivant l’époque où on les cueille. Un
botaniste fixé dans le pays pourra seul résoudre ces difficultés et nous apprendre
, entre autres, si le chêne à glands doux est bien une espèce distincte
ou simplement une variété du chêne vert. U Abies pinsapo formait à lui
seul de petits bois plus clair-semés, et je rencontrai aussi quelques pieds isolés
d’ifs, de Sorbiers et dû Acer opulifolium. Nous nous établîmes pour dormir
dans une hutte en branches, construite par les neveros de Ronda mais
alors déserte, ùn reste de ventisquiero nous fournit de la neige et de l’eau
pour préparer notre repas, et nous passâmes gaiement une nuit pluvieuse. Le
site me rappelait d’une manière fappante quelques endroits des forêts du
Jura, c’étaient des roches calcaires presqu’à pic mais crevassées, couvertes
de mousses et ombragées par des pinsapos qui avaient crû dans leurs fentes,
à leur pied était une pente toute couverte aussi de pinsapos plus grands et
dont quelques-uns s’élevaient à une soixantaine de pieds. Cet arbre a dans
sa jeunesse une forme pyramidale ; mais elle devient ensuite cylindrique,
parce que les branches commencent très-bas sur le tronc et sont toutes à peu
près de la même longueur. Les cônes ne se trouvent que sur des pieds âgés et
seulement sur les rameaux terminaux ; jon sait que parmi les espèces de ce
groupe ils ne tombent jamais, mais leurs écailles se détachent à la fin de l’automne
en laissant leur axes dépouillés : . cela m’expliqua pourquoi au printemps
je n’avais pu trouver à la Sierra Bermeja aucune trace de fruits. Je
récoltai là une grande quantité de cônes déjà parvenus à leur grosseur, mais
verts encore, néanmoins ils achevèrent de mûrir dans la caisse où je les avais
renfermés, et de retour en Suisse, de nombreuses graines m’ont fourni le
moyen de répandre cet arbre qui supportera, j ’espère, les hivers de l’Europe
moyenne, puisqu’il croit ici jusqu’à une hauteur de 56oo pieds.
Au matin suivant, nous quittâmes le revers occidental de la montagne,
et après une heure de marche à travers les plateaux et les vallons, sans monter
beaucoup, nous arrivâmes à l’endroit nommé Pilar de Tolox, situé tout
près d’une forêt de pinsapos très-gros et très-vieux, et qui atteignent là leur
limite supérieure; c’est un charmant site, quoiqu’on n’y ait pas de vuç ; d’une
paroi de rocher percée de crevasses, s’échappent de nombreuses sources
recueillies dans de grandes piscines rustiques à l’usage des troupeaux qui habitent
la Sierra dans l’été. Ces cavernes où suinte une humidité fertilisante sont
tapissées de diverses plantes, YErinus alpinus, la Jasione foliosa et une
charmante Asperula à tiges pendantes et à fleurs d’une jaune orangé. Le
Rhamnus pumilus et une très-curieuse forme rabougrie du Rhamnus alaternus
croissent aussi dans les fentes. Au-dessus du Pilar s’élève un monticule nu à