jue. De nombreux filets d’eau produits par la fonte des neiges supérieures
glissaient le long des roches lisses on croissaient de nombreuses touffes de la
Veronica Ponoe. Cette localité plus qu’aucune autre dans la Sierra me fournit
des plantes communes aussi à la chaîne des Alpes, mais toujours en petit
nombre et représentées par très-peu d’individus. Tels étaient les Carex lago_
pina et capillaris, Alchemilla alpina et quelques pieds rabougris du Salix
hastala, dernière sentinelle avancée de celte armée de petits Saules alpins qui
couvrent les montagnes de l’Europe moyenne et septentrionale. En comparant,
à tout prendre, cette zone supérieure de la Sierra Nevada à celle qui lui
correspond dans les Alpes, on y trouve la confirmation de cette loi que la
variété de la végétation dans les hautes montagnes est en proportion de l’étendue
qu’elles occupent. C’est ainsi que les conditions d’altitude, d’humidité,
de constitution géologique du terrain étant les mêmes/ on trouvera en général
dans un espace donné beaucoup plus d’espèces dans les Alpes que dans les
Pyrénées, et celles-ci à leur tour l ’emporteront sur la Sierra Nevada.
Parvenu à nue hauteur plus considérable encore, je vis les taches et les
bancs de neige se multiplier autour de moi 5 sur les bords de quelques-uns on
ne trouve pas de végétation, ce qui prouve qu’ils ne disparaissent jamais,
mais autour du plus grand nombre fleurissaient le Plantago nivalis et le
Lepidium stylatum; je recueillis aussi dans les glariers humides un seul échantillon
du Ramnculm glacialis. Près de là , je vis à cent pas à peine au-dessus
de moi un troupeau de plus de vingt chèvres sauvages qui traversèrent un
rtivin en sautant l’une après l’autre avec une grande légèreté. Cet animal
répandu dans toutes les chaînes un peu élevées du royaume de Grenade, a
les plus grands rapports avec notre bouquetin pour la taille et la forme des
cornes, je crois qu’il se trouve aussi dans les montagnes du Portugal, et qu’on
doit le rapporter à la Capra tegagrus L. Arrivés au pied de la paroi presque
veiticale du Mulahacen, nous nous reposâmes quelques instants dans un
petit vallon où un lac réfléchissait dans ses eaux limpides cette imposante
pyramide de rochers ; les pelouses très-rases qui l’entouraient étaient ornées
des nombreuses cloches de la fia/1îujui alpina ,■ une courte montée au.
milieu des détritus schisteux nous amena ensuite sur la crête de la chaîne à
l ’origine de la branche orientale du barranco de Poqueyra. Ce passage d’un
Versant à l’autre est probablement le seul qu’offre la ligne de faite à partir do
Collado de Yeleta jusqu’au port de Vacares, partout ailleurs la crête se termine
au nord par des précipices. Battue par les vents et à demi-ensevelie
sous les neiges, elle présentait partout l’aspeet le plus désolé ; çà et là on
voyait de petits étangs, les uns sans écoulement, les autres se déversant dans
le barranco. De ce point il ne nous restait qu’un millier de pieds à monter
parmi des détritus schisteux très-inclinés où l ’on ne voit d’autre végétation
que quelques touffes d’Artemisia et de Festuca Clementei avec le Papaver
pyrenaicum qui orne ces tristes lieux de ses belles fleurs orangées. A cinq
heures du soir seulement j ’arrivai sur la cime, tout joyeux de me trouver sur
le point le plus élevé de la Péninsule. Clemente a trouvé trigonométriquement
10990pieds pour l ’altitude absolue du Mulahacen; une seule observation
barométrique m’en a donné 10980, résultats, comme on le voit, fort
rapprochés, et qui donnent à cette montagne une supériorité de près de 200 pieds
sur le picNéthou, la plus haute cime des Pyrénées. La sommité forme un terre-
plein large de quelques pieds bordé d’un précipice à pic an nord-ouest, mais
terminé des autres; côtés par des pentes plus ou moins rapides qui, de même que
le point culminant, sont couvertes d’énormes blocs de rochers irrégulièrement
entassés. La vue est encore plus belle que celle du Picacho; elle est, il est vrai,
restreinte à l’occident par cette dernière montagne ; mais on plane en revanche
sur tout l’Alpujarra, pays qui comprend l ’ensemble des vallées descendues
de la Sierra Nevada orientale et le revers septentrional des Sierras de Lujar et
Contraviesa. La Sierra de Gador qu’on voit dans le sens de sa longueur, semble
former au bord de la mer un. massif isolé, aux sommités arrondies, et
au-delà duquel on distingue encore les montagnes d’Almeria et du cap de
Gates. Le Mulahacen est encore le point le mieux placé pour étudier la
structure de la chaîne telle que je l’ai décrite au commencement du dixième
chapitre ; le Picacho, le Mulahacen lui-même et les hauteurs du port de
Vacares paraissent placés comme des pivots aux trois principaux points où la
ligne du faite change de direction. L’Alcazaba ou Cerro de Puerco s’élève an
nord du Mulahacen dont il n’est séparé que par une dépression, il est aussi
coupe'à pic du côté de l ’entonnoir profond d’où j ’étais parti le matin et qui,
vu de ces hauteurs-et déjà plongé dans l’ombre, n’était pas la partie.la moins
sublimede cet admirable panorama. Il est fâcheux qu’on ne puisse jouir de cette
vue aussi facilement que de celle du Picacho, il faut de Grenade aumoins deux
jours pour se rendre ici, soit par Guejar et Vacares, soit en passant au Collado
de Veleta, et longeant ensuite le revers méridional de la crête ; l ’un et l’autre
chemin sont impraticables pour des bêtes de somme, en revanche.le Mulahacen
est accessible de tous les points de l’Alpujarra-
Il était temps de songer à redescendre, il n’y avait plus qu’une heure et
demie de jour et j ’avais à traverser un terrain difficile et qui m’était parfaite.-