toute culture que je pencherais à croire qu’il y est véritablement indigène.
Notre petite troupe s’e'tait grossie de trois ou quatre paysans venant de
Berja, dans les Alpujarras, et disant se rendre dans les environs d’Algésiras; cela
signifiait, pour tout homme habitue' aux usages du pays, qu’ils allaient chercher
de la contrebande à Gibraltar. Ils me l’avouèrent en effet sans trop de
peine, et je fus étonné d’apprendre dans quelles proportions se font maintenant
ces expéditions-là, à la faveur des troubles du pays et de la faiblesse des
moyens de répression. Des affidés vont à Gibraltar faire les achats et les chargent
sur un petit bâtiment qui a grand soin de longer d’abord la côte d’Afrique
afin de paraître arriver de l’est et de tromper ainsi la vigilance des torreros.
Pendant ce temps, une troupe nombreuse, souvent de cent à deux cents
hommes, se réunit sur quelque point écarté de cette côte montagneuse avec un
nombre de bêtes de somme proportionné à la cargaison ; on attend là un, deux
jours, puis, à un signal convenu, on débarque pendant la nuit le tabac et les
marchandises et on les disperse dans l’intérieur. Si les carabineros ont eu vent
de la chose et ont pu se réunir en nombre suffisant pour s’y opposer, on fait le
coup de fusil avec eux pour donner le temps à la contrebande de filer par
derrière ; mais cela arrive rarement, parce qu’on prend soin dans ce cas de s’assurer
de leur absence au moyen d’arguments auxquels ils ne sont pas insensibles.
Je n’ai guère rencontré de paysan dans Les provinces de Grenade et de Malaga
qui n’eût pris part à quelqu’une dé ces expéditions et ne m’en parlât comme
d’une partie de plaisir ; outre le charme des émotions qu’ils y trouvent, chacun
reçoit de trois à quatre piastres pour sa peine, et le double pour chaque mulet
qu’il amène avec lui.
Au pied d’une des montagnes que nous ayions à passer, nous rencontrâmes
deux hommes qui nous avertirent de nous tenir sur nos gardes, et
nous dirent que l’on venait de les voler vers le haut du passage. Le cas
était embarrassant; nous n’avions entre nous qu’un seul fusil de chasse et
point de munitions; il fallut user d’un stratagème. Un des Alpujarrenos prit les
devants avec le fusil pour éclairer notre marche, tandis qu’improvisant deux
autres armes avec mon baromètre et sa fourre où j ’introduisis une canne, nous
nous donnâmes l’apparence de gens armés jusqu’aux dents. Je ne sais si cette
attitude respectable en imposa aux voleurs ousi l’on nous avait fait un conte, mais
nous passâmes triomphalement sans rencontrer personne. Il y a rarement dans
cette partie du pays des voleurs de profession organisés en bandes, mais si l’on se
trouve seul ou peu accompagné, on y est exposé, comme dans toute l’Andalousie,
à etre volé par des paysans, que l’appât de quelque butin engage à
salir al camino jgj suivant l’expression pittoresque des Espagnols. C’est cette
manière de voler qui a fait donner à ceux qui l’exercent le nom de rateros \
gens qui profitent du moment.
Vers midi, nous arrivâmes au bourg de Nerja, situé au bord de la mer sur
une falaise fort élevée. Les environs en sont arrosés par de belles eaux, auprès
desquelles je cueillis le Pteris lanceolata ; la culture de la canne à sucre
y est assez répandue. Nous allâmes nous reposer, mon ami et moi, chez
l’alcade, une de ses connaissances intimes et le plus riche habitant de l’endroit.
Cette maison, m’intéressa comme distribution intérieure. Elle avait une cour
sur laquelle s’ouvraient les appartements, ou plutôt une suite de galeries séparées
par un très-petit nombre de portes et de cloisons. Tout était arrangé de
manière à gêner le moins possible la circulation de l’air et à avoir peu de jour
à l’intérieur. Grâces à cette disposition, il règne dans ces demeures, même au
fort de l’été, une fraîcheur que nous ne connaissons pas dans nos régions tempérées.
Les murs des chambres étaient entièrement nus, mais d’une propreté
et d’une blancheur éclatantes; les meubles en petit nombre, tous en bois et en
joncs tressés. Le seul luxe consistait en une armoire vitrée contenant la vaisselle,
disposée symétriquement avec quantité de petites figurines de porcelaine.
C’est un meuble d’un usage très-général et que j’ai retrouvé dans la plupart des
habitations du pays.
Après Nerja on traverse d’autres montagnes mais plus basses et plus arides que
celles où nous avions passé le matin. La végétation que j ’ai décrite disparait en
partie pour faire place au Oytisus lanigerus, au Genista umbellata, au Cislus
monspeliensis et à la Passerina dioica. Deux lieues avant Velez, nous arrivâmes
dans une belle plaine, située entre la mer et les coteaux couverts de vignes et
parsemés de villages qui s’étendent à la base de la Sierra Tejeda. Le pays était
en général bien cultivé ; les champs s’avancent en plusieurs endroits jusque sur la
plage, et on les protège contre l’invasion du sable poussé par les vents, à l’aide
de haies épaisses de figuier d’Inde et d’Agave. La nuit, qui tombe rapidement
dans ces climats, nous surprit encore éloignés de notre but, et ce ne fut que
grâces aux connaissances locales de mon ami et à l ’instinct de nos montures
que nous pûmes arriver jusqu’à Yelez. La posada de T^eniura, où je descendis,
était plus confortable qu’aucune de celles de la route, les murs des chambres,
nouvellement réparés, ne contenaient pas de trous perfides, et j’y goûtai un
1 Littéralement sortir au chemin .
* Du mot rato, instant, moment.