au son des monotones et incompréhensibles cantilènes des cochers espagnols
que j ’entendais là pour la première fois.
Au sortir de la ville on traverse d’abord des jardins arrosés par des norias
et des espaces incultes occupés par le Rétama monosperma et VA triplex halimus,
puis le terrain se rétrécit et l’on chemine pendant près d’une lieue et demie
sur une langue étroite de sable, avec la mer à droite èt à gauche à quelques
pas. A mi-chemin le fort de San-Luis ferme complètement le passage.
San-Fernando, capitale de l’ile de Léon, a quelque chose du luxe de Cadiz,
mais elle est en décadence ; les maisons y sont trop basses et d’un goût vieilli,
les rues désertes et en de certains endroits pleines d’herbes. Cette île peu
élevée est séparée de la terre ferme par d’immenses lagunes à demi-noyées et
par le bras de mer appellé Canal de Santi Pétri. Je visitai celles de ces
prairies salées située du côté de la Carraea, et j ’en trouvai la végétation
composée foncièrement des Salicornia herbacea et macrostachya, Salsola tra-
gus et brevifolia, A triplex portulacoides, Chenopodium marîtimum et fruticosum,
enfin Statice auriculoefolia, diffusa et monopetala toutes en fleur.' Du point
culminant de l’ile de Léon, on a une vue charmante du côté de Chiclana el
de ses grands bois de pins; dans tous les lieux bas de nombreuses pyramides
de sel éparses au milieu des prés salés et verdoyants, donnent à ce site un
caractère d’étrangeté.
Je ne m’étendrai pas sur la végétation de Cadiz, que la saison peu favorable
et le peu de temps dont je disposais ne me permirent pas d’étudier : les
environs de cette ville et toute la province en général jusque vis-à-vis de Gibraltar
ont une flore très-riche et intéressante surtout par le grand nombre
d’espèces lusitaniques qu’on y rencontre et qui y ont leur limite orientale.
Dans Cadiz même je recueillis le Solunum sodomoeum qui remplit les fossés et
YAchyranthes radicans fort commun aux environs du château de Santa-
Catalina. Ces deux plantes maintenant naturalisées ont certainement été
importées d’Amérique. Je ne négligeai point d’aller rendre mes devoirs au
fameux dragonnier si souvent décrit par les voyageurs, et le jardin de l’Ecole
de Médecine m’intéressa aussi à cause des nombreuses plantes tropicales qui
y végètent en plein air avec la plus grande vigueur, et parmi lesquelles je
citerai des Cassia, des Cestrum, des Bananiers et de beaux arbres du Parkin-
sonia aculeata.
Rien de plus prompt et de plus agréable que le voyage par eau de Cadiz à
Séville; il ne:'faut qu’une demi-journée pour s’y rendre, et on évite l’inconvénient
plus grave des ladrones qui pullulent, dit-on, dans toute la basse
Andalousie. Dans le court trajet maritime qu’on fait pour gagner le Guadalquivir,
nous avions à droite des côtes plantées de pins rabougris et des
Collines basses où croît le vin connu sous le nom de Tintilla de Rota. Arrivés
au port de Bonanza, sur le Guadalquivir, nous primes à bord plusieurs passagers
qui, pour éviter la mer, avaient fait le trajet par terre depuis Puerto
Santa Maria, sons l’escorte d’une partida de douze hommes à cheval. Cette
troupe de majos, tous vêtus de costumes variés et armés jusqu’aux dents,
faisait l’effet le plus pittoresque en galoppant au milieu des collines parmi les
buissons de Rétama et de Juniperus macrocarpa. La navigation du bas Gua-
quivir est fort curieuse par l’étrangeté du pays que l’on traverse. Le fleuve,
large et profond, ne montre aucune trace de courant, à droite et à gauche
s’étendent d’immenses prairies salantes, unies comme un lac et élevées de 2 à
5 pieds à peine au-dessus de ses bords; des soudes, des salicornes et d’autres
plantes maritimes en forment la végétation. A droite, ces plaines n’ont
qu’une à deux lieues de large, et on voit au-delà s’élever des collines que
couronnent des villes et des bourgades, telles que Lebrija et Cabezas de San
Juan, mais à gauche elles s’étendent à perte de vue dans la direction du Con-
dado de Niebla et du Portugal, et même à l’horizon le plus éloigné
rien n’en rompt la triste uniformité. Tels doivent être certains paysages de la
Hollande moins le ciel du midi ; ici un soleil éclatant teignait de couleurs
métalliques les eaux lourdes et calmes du fleuve, et dorait les montagnes dont
la teinte émpourpre'e contrastait singulièrement avec la couleur d’un vert cru
des prairies salines. A chaque instant nous rencontrions des bâtiments de commerce
d’un faible tonnage, naviguant à la voile comme en pleine mer, au
milieu de ce pays plat où rien n’arrête le cours des vents. Avant d’arriver à
Séville les berges s’élèvent, et je pouvais déjà deviner à travers les ombres de
la nuit, des bosquets d’orangers et quelques palmiers ; à huit heures du soir
nous débarquions au pont de Triana.
Je m’arrêterai peu à parler de cette Séville si souvent décrite, et qui par son
importance, le charme et la culture de sa société, le caractère si espagnol
de ses moeurs, peut être regardée comme la vraie capitale de cette contrée.
Si les circonstances lui eussent permis de le devenir de fait, quelles
conséquences n’en eussent pas découlé pour l’avenir de l’Espagne! Séparée
du reste» de l’Europe par un vaste territoire montueux, elle eut brave'
toute invasion derrière un triple rang de montagne^*ardues, tandis que le
Guadalquivir s’ouvrant au midi à la navigation et au commerce, eût laissé
pénétrer jusqu’au coeur de l’empire cette civilisation et cette connaissance