défendre à toute extrémité. Arevalo ,de Zuazo, gouverneur de Velez, qui v ou-
lul l ’enlever de force, fut repoussé avec grande perte; ils résistèrent même héroïquement
au commandeur de Castille et à ses vieilles bandes qu’il ramenait
d’Italie ; cependant, enfin, ils durent céder au nombre et périrent presque tous;
les vainqueurs se partagèrent les troupeaux, se distribuèrent comme esclaves
les femmes et les enfants, et-ne quittèrent le pays qu’après avoir brûlé les
villages et détruit jusqu’aux derniers restes de cette nation infortunée. La
citadelle de Canillas, inutile dès-lors, fit place à un couvent, symbole du
principe au nom duquel combattaient alors les Espagnols, et des moines
habitèrent cet endroit jusqu’à ces dernières années où on les sécularisa. >Un
seul restait encore, c’était un vieux religieux, un peu chirurgien et qui, à
cause des services qu’il rendait en cette qualité aux gens du pays, était toléré
par exception dans cette vieille demeure qu’il ne pouvait se résoudre
à:quitter. I l était là assis sur le mur de la terrasse, songeant tristement aux
temps passés, les yeux fixés machinalement sur le magnifique panorama que
présentaient la mer et les collines de la cote dorées par le soleil couchant.
Une végétation montagnarde toute nouvelle pour moi commençait à la hauteur
du vieux couvent, et mille_ plantes odoriférantes rafraîchies par une ondée,
exhalaient à l’envi leurs parfums. Je remarquai entre autres le Teucrium fragile,
charmante espèce à-fleurs roses, dont les tiges délicates et fragiles garnissaient
les fentes des rochers et les murs d’enceinte de l’édifice, VAnthyllis,
Tejedensis aux touffes argentées, le Thymus longi/lorus aux fleurs: roses d’un
pouce de long, la Santolina squarrosa, la Digitalis obscura aux fleurs ferrugineuses,
une nouvelle espèce de Jasione, et quantité d’autres plantes que
je n’avais pas encore rencontrées. Les pentes trèsr-rapidêsî de la montagne
sont en cet endroit coupées par des bandes de rdchers et sillonnées par des
côtes étroites et peu élevées entre lesquelles se trouvent des crevasses •"et des
espaces remplis de ce sable blanc et cristallin dont j ’ai plusieurs fois parlé. Pendant
que j ’étais agréablement occupé à herboriser > on me fit voir des points
noirs qui se, mouvaient au-dessus de-nous le long des sentiers, c’était;-une
caravane d’ânes et de mulets chargés de neige; qui arrivèrent bientôt pfès
de nous et que nous accompagnâmes au villager lls s’arrêtèrent sur la.place
publique où les attendait presque toute la population empressée de jouir
de ce spectacle qui se reproduit pendant l’été chaque jour : et à. la même
heure. Là on déchargeait les bêtes de somme, on tassait la neige dans de
plus grands paniers en l’enveloppant de paille et on la replaçait immédiatement
sur d’autres mulets qui devaient voyager toute la nuit et arriver de
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grand matin à Malaga. Cette industrie occupe bon nombre de gens de Canillas
pendant une partie de l ’année; ils ont outre cela la culture des vignes
qui est bien moins compliquée que dans notre climat, puis dans d’autres
saisons ils font de Varrieria, 'c’est-à-dire transportent des marchandises
d’un lieu à un autre. C’est un genre de commerce très-important en Espagne
à Cause du manque de routes carrossables et par suite de l ’énorme
différence de prix des denrées dans des endroits même-: rapprochés. Ces
arriéras vont jusqu’à Madrid et même ; en Portugal en changeant souvent
de chargement en route. C’est ainsi qu’ils se rendent de la côte à Grenade
pour y porter du poisson, achètent là des piments ou des ognons pour
les vendre plus loin, et ainsi de suite. -Ces voyages leur procurent une certaine
aisance et développent en même temps leur intelligence; ce sont
de-rusés compères,! é tl’on regarde à Malaga, Canillas de même que les villages
voisins, comme des. repaires de bandits, réputation qui est exagérée. Ce n’est
pas, en effet, le vol et le brigandage qui sont fréquents dans cette contrée,
mais on y voit souvent de petites guerres civiles .à l’occasion de partis qui
divisent souvent chaque hameau, et 'à la tête desquels se trouvent les familles
les plus puissantes du lieu; ce sont les moeurs de la Corse ou de la Calabre.
Un an avant mon passage,-un événement de ce genre avait eu lieu à Canillas
: un membre de la famille des Negretes, chef d’un des partis, se fit
nommer alcalde et fut bientôt détesté àfëause de 'sa violence et de sa partialité.
On en vint bientôt à se battre dans les '-rues, et les gens paisibles ne
pouvaient plus sortir sans's’exposer-à recevoir des -Coups de fusil o u ’de pistolet;
il se commit des meurtres; le gouverneur de Velez' envoya des troupes,
mais on les reçut fort mal et le commandant n’osait pas même
laisser aller ses soldats isolés par crainte de ces montagnards que toute intervention
du pouvoir exaspère et qui sont toujours prêts à jouer du poignard
et à se sauver ensuite, dans la Sierra. Finalement les Negretes furent
obligés de quitter le pays, et l’alcalde -lui-même, qui s’en allait sans brait,
n’échappa que par hasard à un guet-apens que lui avaient préparé ses ennemis
du côté de Montefrio. Ce triste état de société est dû au peu de force
du pouvoir central, et surtout à la faiblesse et à la vénalité de la justice.
Un homme en tue-t-il1' . l i t ‘autre dans cé pays-ci, sa principale affaire à vider
est avete les parents et amis du mort; s’il parvient à s’arranger avec
eux, ilas’éloigne pendant quelque temps pour la bienséance, quelque argent
le raccommode avec les autorités judiciaires et il revient habiter paisiblement
sorf’village. S’il n’a pu échapper au glaive de la loi,* il y a encore moyen