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des aiitres nations, .q u i ont jusqu’ici manqué au caractère et au génie
espagnol.
Extérieurement moins splendide que Cadizf Séville est plus (riche en
monuments''historiques intéressants : un des:plus beaux édifices gothiques qu’on
puisse voir, est sa cathédrale formée par cinq immenses et sombres nefs parallèles,
et qui se recommande encore par les admirables Murillôs qmelle renferme.
Tout à côté s’élève une tour carrée', c’est la fameuse Giralda, vrai
bijou d’architecture orientale, qui conserve encore ses doubles fenêtres et
tous ses ornements arabes et du haut de laquelle la vue est extrêmement étendue;
' tandis qu’au sud-est on distingue lés points culminants ' dé la Serrania
deRonda, on voit s’élever vers le nord-ouest à iune ou deux lieues de là
W ville, une rangée de collines, dernier étage de la Sierra Morena. L’Alcazar
ou ancien palais des rois Maures, parle peu à l’imagination lorsqu’on a!déjà
vu l’Alhambra ; ses salles sont, il est vrai:, nombreuses et <ornées dans le
même goût, mais elles font naître peu de souvenirs historiques, et-on regrette
d’ailleurs qu’elles aient été réparées et presque reconstruites sous Pierre-le-Gruel
et ses successeurs. Une fonderie de canons est. remarquable par le luxe et le
grandiose avec lequel elle fut établie dans le siècle précédent ; c’est' un
caractère que présentent la plupart dès édifices espagnols de cette époque, et
entr’autres à Séville la célèbre manufacture de tabac que je visitai; il’ faudrait
un volume pour faire connaître cet établissement imménse, pour- donner de
détail des opérations auxquelles on soumet ce produit suivant sa qualité et
l’usage auquel ôn le destine. Ce qu’on y voit de plus curieux peut-être, c’est
deux immenses corridors disposés en croix et où cinq à six mille femmes
établies par douze ou quinze ensemble autour de petites tables, sont occupées
ensemble à rouler des cigarres avec .les doigts, besogne dont elles; s’acquittent
avec une grande célérité. Une autre salle sert à préparer et' a conserver
le tabac à priser dit d’Espagne, et il est impossible à tout visiteur d’y
séjourner plus d’un instant tant les molécules ! acres répandus dans son
atmosphère agissent sur les organes de la respiration. Quelque peuplée que soit
Séville, ses'environs n’ont jamais été, à ma connaissance, explorés par aucün
botaniste à l’exbeption de M. Rodriguez qui y séjourna peu dé temps, et à en
juger par quelques plantes qu’il y observa, Sa flore serait d’Un grand intérêt
si on l’étendait surtout au comté de Niebla et aux revers méridionaux de la
Sierra Morena.
A partir de Séville mon voyage devenait plus difficile, il ne fallait plus
compter sur les diligences établies jadis sur la grande route d’Andalousie,
mais qui, depuis plusieurs mois., avaient cessé leur service après avoir été
arrêtées et brûlées à diverses reprises,-par les bandes qui irifestaient la Manche.
Il ne restait plus que deux manières de pénétrer dans le nord, la première
était de se joindre à un immense convoi de quarante galeras qui devait partir
sous peu de jours et qui, Pescorte comprise, pouvait compter de 4 à 5oo
hommes armés. Ces lourdes machines qui méritent leur nom parleur incommodité,
sont d’immenses chars à deux roues où les voyageurs s’empilent
comme ils l’entendent sur les coff res et les matelas qui en composent le chargement,
le. convoi n’avance que de quatre à six lieues par jour, et en y comprenant
les jours de halte dans les villes, il eût fallu quinze jours ou trois semaines
pour gagner Madrid, et la longueur d’un pareil voyage me rebuta, Je
me décidai donc à partir avec le courrier, moyen de transport plus prompt, mais
qu’on me désignait comme si fatigant que je ne pris ma place que jusqu’à Cor-,
doue, pour pouvoir me reposer quelques jours dans cette ville que je désirais
d’ailleurs connaître. Parti de Séville au soir, je m’aperçus bien vite que l’on
n’avait point exagéré; nous étions le courrier, le postillon, un autre voyageur
et moi entassés dans un misérablecharriot à deux roues, nullement suspendu
et recouvert d’un berceau voûté en nattes grossières; point de coussins
ni même de bancs; mais quelques coffres et le sac aux dépêches sur lesquels,
nous nous accommodâmes de notre mieux à l’aide. de nos manteaux.
Qu’on se représente ce véhicule entraîne au grand trot des chevaux sur les
routes pierreuses de l’Andalousie, et on se fera quelqu’idée de nos tribulations;
la pire de toutes était après nous être enfin casés à grand’peine tant
bien que mal, d’être obligés à chaque relai nouveau de quitter notre charrette
et de nous arranger à nouveaux frais dans une nouvelle souvent bien
plus incommode. Ces inconvénients, joints à une nuit déjà froide, nous la
firent paraître longue, et nous-retrouvâmes avec plaisir entre Carmona et Ecija
la clarté du jour qui nous permit de voir le pays, et apporta ainsi quelque
diversion à notre supplice.
Pendant toute la journée nous parcourûmes des contrées mollement ondulées,
couvertes d’immenses forêts d’oliviers et qui, malgré leur fertilité,.sont
presqu’inhabitées ; ce n’est que de loin en loin qu’on rencontre un cortijo
isolé ou quelque hameau dont les cimes légères de quelques palmiers annoncent
l’approefre. La route était remplie de bandes nombreuses d’Aragonnais et de
paysans dé la Yieille-Castille, se rendant au midi pour lairécolte des olives qui
dans cette saison exige un nombre considérable de bras. Au soir, et de bonne
heure, nous étions à Gordoue et il était temps, car les secousses et les caho