
Irina brillait par sa belle couleur jaune citron. La zone de ces lichens pé-
tricoles coïncide, dans ces montagnes, avec la région que j ’ai nommée neigeuse,
et commence avec elle à 8000 pieds de hauteur.
Pendant notre halte sur le Picacho, des vapeurs s’e'taient amassées autour
de la cime, et le thermomètre, déjà très-bas, était descendu à 2 degrés
au-dessous de zéro. Je craignais, si je laissais les brouillards s’accroître, de ne
pouvoir plus retrouver facilement le côté de la descente, et j ’éveillai mes
gens pour partir. Au moment où je me penchais au bord du précipice
pour jeter un dernier coup d’oeil au fond du Corral, j ’aperçus deux chèvres
sauvages, à Cinquante pieds au-dessus de moi, sur une étroite corniches
formée par la saillie de couches schisteuses; il eût été facile d’en tirer
une, mais une exclamation de surprise que Pedro ne put retenir à leur
vue suffit pour les faire disparaître en un clin d’oeil. Cachées d’abord par
les roches, nous les vîmes un instant après à un quart de lieue au-dessous
de nous, traversant les parois opposées du Corral au. travers de pierres
roulantes que leurs pas précipitaient sur le glacier. Un autre incident égaya
notre descente ; nous avions dû à mi-montée attacher à un quartier de rocher
le mulet qui n ’aurait pu continuer à cause de la difficulté du chemin ;
ennuyé apparemment dû froid et de la solitude, il était parvenu à se dégager,
et nous le vîmes de loin détalant grand train vers le Borreguil et
semant derrière lui à chaque saut et à chaque ruade nos papiers, nos provisions
et jusqu’à son bât. Pedro, plus spécialement chargé .de sa garde,
s’élança après lui, tantôt l’accablant de malédictions, tantôt employant en
vain les expressions les plus flatteuses pour l’attirer. C’était fort divertissant
de les voir, arrivés enfin dans les prairies, jouer tous deux à cache cache; le rusé
animal laissait approcher Pedro tout en pâturant, puis faisait une volte et
le plantait là , l’un et l’autre ne se fussent arrêtés certainement qu’à San
Geronimo, si des bergers et leurs chiens ne fussent venus à notre aide et
n’eussent capturé la bête récalcitrante.
La course du jour suivant fut destinée à aller examiner le Corral de plus
près. Du Borreguil, je gagnai la croupe de ce contrefort dont j ’ai déjà parlé
souvent et qui, du Picacho, descend au Penon de San Francisco, puis à
Dornajo. Là, à une hauteur de 8600 pieds environ, est une petite caverne
formée par un bloc de rocher à demi-penché et complétée par un mur
en pierres sèches. Cet endroit, nommé Panderon, sert de refuge à deux
neveros que la ville de Grenade y entretient pendant la belle saison. Je
descendis ensuite de l’autre côté du contrefort à un très-petit lac situé
à l’origine du barranco de San Juan, profonde ravine qui va se joindre
à la vallée du Xenil au-dessus de Guejar et est renommée par les beaux
marbres qu’on exploite dans sa partie inférieure. Une autre pente plus élevée
et qu’ornaient alors des touffes en fleur d’Àrmeria australis, et d’une jolie
variété de la Biscutella saxatilis me conduisit sur le bord occidental du
Corral dont le revers, terminé par des précipices, était encore occupé par
des bancs de neige à côté’ desquels fleurissaient le Galium pyrenaicum,
YÀrtemisia Granatensis, la Gagea polymorpha et la Sibbaldia procumbens.
Il serait impossible de descendre cette bande de rochers qui, prenant
naissance au Picacho même , forme les parois occidentales du Cordai et
du barranco de Gualnon jusqu’au bas duquel elle se prolonge, si la nature
n’eût ménagé à diverses hauteurs dans la vallée des sentiers en corniche
formés par le retrait des couches schisteuses. Le plus élevé de ces sentiers,
celui qui conduit au pied du glacier., est aussi le plus court et le
plus large, on le nomme Portillo del Corral, et les neveros le suivent
pour aller chercher de la glace dans le Corral dans les années chaudes
où elle a disparu ailleurs. J’arrivai bientôt sur une véritable moraine
composée de débris schisteux humectés par les ruisseaux de la neige fondante
et parsemée de gros blocs épars. Le glacier a une pente très-inclinée,
sa hauteur perpendiculaire n’est que de 200 à 3oo pieds sur une largeur
d’à peu près 600 pas, il est traversé par de nombreuses fentes transversales
de quelques pouces de largeur seulement. Les montagnards de
la Sierra Nevada, peu au fait de la constitution des glaciers, regardent
chacune de ces fentes comme la limite annuelle d’une couche de neige, et
calculent d’après leur nombre l’âge du1 glacier. Il a ’ceci de remarquable
qu’il est l ’unique dans toute la Sierra Nevada èt le plus méridional de
l ’Europe ; il doit sa formation à sa position au fond d’un cirque abrité et
dominé de toutes paris par de hautes sommités dont les ouragans balaient
la neige en hiver. Son altitude moyenne est de 9000 pieds, et il présente
en miniature tous^les caractères des glaciers des Alpes, fentes, glace
impure, moraines boueuses à sa base et sur ses côtés, enfin, ruisseaux d’une
eau trouble qui s’échappent à son extrémité de plusieurs petites cavernes
creusées dans la glace. La végétation des moraines se compose en partie
d’espèces qu’on retrouve aux Alpes dans les mêmes localités, Cardamine rese-
difolia, Àrabis alpina, Draba frigida, Poa laxa mêlés à YHolcus cæspitosus,
à VArabis Boryi/avi Brassica monlana et à une charmante variété de la Li-
naria origanifolia aux fleurs violettes deux fois plus grandes que d’habitude;