
des huttes temporaires en paille ou plus fréquemment encore dorment sous
lés voûtes des rochers voisins. Ce site est verdoyant et plantureux, grâces
aux sources nombreuses et à des acequias ou rigoles artificielles qu’on trouve
à diverses hauteurs sur le flanc des montagnes. La Pedicularis verticillata
ornait alors leurs bords ; dans des prairies marécageuses et sur des rochers
humides tout près de la cabane, j ’observai aussi une singulière association
de petites plantes annuelles, YAlsine segetalis, le Linum radiola avec le Scirpus
setaceus et les Juncus pygmoeus et tenageya. J’y retrouvai aussi avec surprise
la Gentiana glacialis de nos Alpes associée à une autre espèce nouvelle et très-
curieuse du même genre. Ses corolles, lorsqu’elles s’épanouissent, sont d’un
beau blatte et absolument semblables à celles d’une Stellaire ; dès qu’on
cueille la plante ou qu’un nuage vint à passer devant le soleil, elles se
ferment et présentent leur face inferieure qui est d’un bleu métallique.
Je fis le lendemain une petite excursion en remontant le vallon jusqu’au
port de Vacares, éloigne' de deux heures à peine. Près de la cabane
les pentes sont si rapides que Pedro n’avait* pu les descendre la veill
qu’en passant dans l’eau avec le mulet tout le long d’une acequia. Plus
haut je recueillis, au milieu des touffes xVErinacea et d'Arenaria pungens,
une curieuse ombellifère, la Reutera procumbens. Tout près du faîte, au
pied d’escarpements qui dépendent de l’Alcazaba et au milieu d’une nature
horriblement bouleversée, où l’on ne voit que des débris de rocs entassés,
est un petit lac circulaire dont aucun ruisseau ne s’échappe et qui est entretenu
par la fonte des neiges, c’est la laguna de Vacares qu’on dit d’une
grande profondeur. Le col ou puerto n’est qu’à trois cents pieds plus haut>
et j ’y jouis encore une fois de l’aspect grandiose du fond de la vallée du
Xenil. Sur ces hautes crêtes élevées dé 7470 pieds et battues par les vents,
fleurissaient les Senecio Duriei et Tournefortii, Thymus serpylloides, Scutellaria
alpina, Réséda complicata, Ranunculus demissus, Jasione amethystina, Cerastium
alpinum, Sideritis scordioides var. lanata. La Digitalis purpurea nommée dans
le pays Beleza et dont les feuilles ont, au dire des bergers, la propriété
d’enivrer les chèvres, remontait aussi jusque-là, ses hampes hautes d’un
demi-pied seulement et couvertes de fleurs roses ornaient tous les enfoncements
abrités par de grosses pierres; les e'boulis schisteux me fournirent
aussi la rare Linaria glacialis. Au nord-est du col de Vacares s’étendent
de vastes plateaux tout aussi élevés, que je ne visitai pas dans celte excursion
et qui s’étendant plus au nord qu’aucune autre portion de la Sierra, dominent
immédiatement les plaines de Guadix.
Après avoir passé deux jours au hato de Gualchos je partis pour Trevelez,
village à trois lieues plus bas dans la vallée; la journée, de même que les
précédentes, était pluvieuse et les hauteurs voilées par les nuages; je traversai
d’abord des rampes assez rapides occupées par des prairies et des champs de
seigle, puis après avoir passé le barranco du riô de Xeres, descèndu directement
du nord, je m’engageai dans le vallon de Trevelez où la pente du
thalweg n’est plus si considérable ; dans quelques places les rochers de serpentine
resserrent tellement la vallée, qu’il n’y a place que pour le sentier
et le torrent; ailleurs, ce torrent bordé de gigantesques Heracleum Grana-
tense coule au milieu de belles prairies qui avaient été malheureusement engravées
la veille par la crue des eaux. La végétation est aussi fraîche que
sur le revers septentrional de la Sierra, seulement les plantes des régions
inférieures y remontent plus haut dans la vallée. A une lieue avant Trevelez,
je retrouvai le Sarcocapnos crassifolia, puis le beau Teucrium com-
pactum aux tiges longues et rampantes. Un peu plus bas des arbres assez
clair-semés de Quercus ballota *se montrèrent à la base de la montagne, puis
des cultures de blé et enfin une vraie forêt de cerisiers, de mûriers, de noyers
et de châtaigniers au milieu de laquelle étaient disposées les maisons de
Trevelez sur une longue pente à droite de la rivière. Les toits plats et couverts
de terre, donnent à ces habitations un singulier caractère, c’est une
construction qui date du temps des Maures et qu’on a probablement adoptée
à cause de la rigueur du climat de ces hautes vallées. Trevelez est en
effet situé à 5ooo pieds au-dessus de la mer, et la neige y couvre le sol
de décembre en mars ; le maïs et les pousses des noyers gèlent quelquefois
au printemps, et la vigne ne commence qu’une grande lieue plus bas. On n’y
rencontre non plus ni poiriers, ni pommiers; mais je suis persuadé qu’ils
réussiraient très-bien, puisque le mûrier y prospère.
Arrivé au village vers le soir, j ’appris qu’il ne s’y trouvait pas de po-
sada ; mais le premier habitant auquel nous nous adressâmes me fit - aussitôt
entrer dans sa maison ; là commença une scène plaisante et touchante à
la fois. La femme de mon hôte avait deux frères qui, quinze ans auparavant,
étaient partis pour las Indias, c’est-à-dire pour l’Amérique, et n’avaient
plus donné de leurs nouvelles. Trompée par la coïncidence d’âge et
quelque vague ressemblance, elle s’imagina les retrouver en moi et en
mon domestique; les voisins prirent parti dans la discussion, les uns sérieusement,
les autres pour plaisanter, la pauvre créature ne savait que croire;
elle était tout émue, et cherchait à me faire avouer une parenté que jé