
sept ou huit hommes à cheval descendre à un quart de lieue a peine les pentes
oppose'es et venir abreuver leurs chevaux à une ferme déserte. C’était un
parti carliste; cette chaîne assez basse, mais qui plus à l’occident devient fort
large, était leur refuge, et c’est de là qu’ils faisaient des excursions dans les
plaines au nord et au midi; on désignait comme leur quartier-général le
village de Fuente del Fresno et quelques autres dont les habitants les favorisaient
sous main, et on reprochait vivement au gouvernement de ne pas
faire détruire ces repaires, et de ne pas .activer davantage la poursuite de ces
bandits. Pour quitter Puerto-Lapiche, nous eûmes l’escorte d’une douzaine
de cavaliers pittoresquement armés jusqu’aux dents de pistolets, de carabines
et de vieux sabres, d’autres hommes à pied allèrent s’embusquer dans des
carrières et des bas-fonds jusqu’à l ’arrivée des gardes nationales de Madridejos,
qui s’arrêtèrent aussi à demi-lieue de nous au sommet d’une colline. Nous
franchîmes cet espace au galop et nous nous trouvâmes sous cette nouvelle
protection. Après Madridejos les horizons à perte de vue recommencent à
l ’est et au nord ; mais l’oeil peut se reposer à l’ouest sur Conspegra et d’autres
beaux pueblos assis au pied de hauteurs couronnées de classiques moulins à
vent aux ailes agitées. A mi-chemin de Tembléque nous vîmes à demi-lieue
de nous, sur une route de traverse, une galère arrêtée et dévalisée par quelques
bandits, mais ils étaient à pied et nous ne nous en inquiétâmes guères. Tout
près de ce dernier village, cet immense plateau de la Manche est coupé tout à
coup par une de ces larges et profondes dépressions qui accompagnent d’ordinaire
les cours d’eau dans cette partie de l’Espagne.
Le lendemain matin, tandis que nous remontions lentement la longue
pente qui conduit à la Guardia, j ’observai dans les bancs gypseux dont elle se
compose, plusieurs plantes particulières à cette formation et encore en pleine
fleur, telle que Matthiola tristis, Gypsophila strutkium, Lepidium cardamines
et sûbulatum. Arrivé à la Guardia, antique et sale bourg sur une hauteur, le
voyageur a devant lui une nouvelle et profonde ravine à talus très-inclinés
dans la partie supérieure et adoucis dans le bas; les couches horizontales
argileuses et gypseuses des collines, dessinent sur ces talus des zones verdâtres,
rouges et blanches de l’effet le plus singulier, et ces zones se reproduisent
dans un cône isolé qu’on remarque au fond du ravin à droite de la route de
Madrid. Le fond assez plat de celte vallée est arrosé par un petit ruisseau,
et sa culture soignée contraste avec l ’affreuse stérilité de ses berges. En remontant
celles-ci par un sentier rapide du côté opposé à la Guardia, tandis
que la voiture faisait un long détour, je pus, malgré la saison avancée, ob-
Server des traces d’une végétation toute particulière et qui n’offre de l ’analogie
qu’avec les terrains de semblable nature que j ’avais vus près de Grenade.
Aux plantes dont je viens de parler ci-dessus, je vis s’associer ici le Sonchus
simplicissimus, Jurinea pinnata, Herhiaria suffruticosa, Jlelianlfi’èmum squamma-
tum, Santolïna incana. Les souches de plusieurs de ces plantes sont le seul
combustible naturel des environs, et on s’en sert à la Guardia pour cuire
le plâtre. De la longue et monotone plaine argileuse qui du haut de ces pentes
mène jusqu’à Ocana, je pus déjà découvrir à l’horizon la ligne dentelée et
élevée du Guadarrama.
A partir d’Ocana on ne craignait plus les facciosos, aussi, libres de soucis,
nous nous y reposâmes pendant une heure et pûmes nous occuper de notre
toilette étrangement négligée depuis cinq jours qu’avait duré cette traversée
périlleuse, et si pénible à cause de la fatigue et du froid pénétrant qui
règne le matin et le soir sur ces plateaux. Nous franchîmes au grand trot les
plaines incultes qui séparent Ocaüa d’Aranjuez, et qui étaient alors entièrement
. couvértes*d’Ar£m«sm herba alba dont les fleurons pourpres contrastaient
agréablement avec la blancheur des feuilles. L ’odeur de la plante
est si forte que nous avions peine à supporter dans la charrette celle des
échantillons que je cueillis. A Aranjuez nouvelle dépression du sol; mais
cette fois c’est une belle et large vallée ombragée de marronniers et arrosée
par les eaux du Tage, bourbeuses, peu abondantes, et qui ne me paraissent
pas mériter, ici du moins, les éloges des poètes. Ce fleuve ne me parût
qu’une rivière de second ordre; mais il est vrai que la saison était défavorable
et que sa source est encore rapprochée. Il fallait encore franchir le même
soir les neuf lieues qui nous séparaient de la capitale, ët je ne pus donner
à Aranjuez que quelques moments. Le Tage traversé et les berges septentrionales
de la vallée gravies, on retrouve les plateaux dans leur monotonie
et leur stérilité, le terrain est coupé de continuelles ondulations au fond desquelles
sont cachés les rares villages que l’on rencontre. Sauf quelques oliviers
petits et languissants à cause de l’âpreté du climat, pas un arbre, point de
végétation ; une plante élégante et encore fleurie, la Statice dichotoma
orne seule de loin en loin cette nature aride. Aux approches de Madrid
le paysage prend cependant de l’intérêt, la chaîne du Guadarrama grandit et
ses détails se dessinent, la capitale se présente peu à peu en amphithéâtre,
adossée à des hautes collines. Nous y arrivâmes enfin à dix heurés du soir
au milieu d’une foule de curieux qui, à cause de nos retards, croyaient
déjà la correspondance que nous apportions, entre les mains des factieux.