repos bien nécessaire à quiconque vient de parcourir huit lieues d’Espagne à
mulet et par des sentiers tels que ceux que nous avions suivis.
Velez, que je visitai le lendemain, est une ville assez propre qui peut avoir
de cinq à huit mille âmes de population ; les rues sont larges et la plupart des
maisons ont plus d’un étage. Adossée contre de hautes collines, à une petite
demi-lieue de la mer, et parfaitement abritée contre les vents du nord, elle
passe pour un des endroits les plus chauds de la côte, et il est facile de s’en
convaincre en voyant ses haies gigantesques de figuier d’Inde, sur lesquelles,
comme au bord de la baie de Cadix, abondent les caméléons. L ’opinion
populaire est que ces animaux ne se nourrissent que d’air ; on en conserve dans
beaucoup de maisons de l ’Andalousie sur de petits cercles en bois suspendus
au plafond. Ils s’y meuvent avec une extrême lenteur et peuvent yivre ainsi
pendant quelques mois sans aucune nourriture.
Le beau vallon qui s’étend auprès de la ville est occupé par les cultures de
canne à sucre, les plus étendues que j ’eusse encore rencontrées. Des bandes de
travailleurs, y coupaient les .tiges qu’on transportait à Yingenio dans des chars
soutenus par quatre roues massives et garnis-d’un treillis formé par de gros bâtons
plantés perpendiculairement dans le train. Cette lourde machine me rappela
celle à l’aide de laquelle Don Quichotte fut ramené dans son village, ensorcelé
et prisonnier. Les bords du ruisseau qui descend de la vallée sont ombragés
par un bosquet de peupliers blancs qui accompagnent ordinairement les
cours d’eau, et sont à peu près les seuls arbres qu’on trouve spontanés dans les
parties chaudes du littoral. Dans ce lieu humide, je trouvai une foule de plantes
délicates qui croissaient à l’abri de l’ardeur du soleil, entre autres Y (Enan-r
the apiifolia et plusieurs espèces de Tritia et de Lcithyrus.
Après un jour passé bien vite et bien agréablement à Velez, grâce à la récepr
tion cordiale et hospitalière de mon ami et de sa famille, jè repartis pour Mar-
laga, me promettant bien de revenir plus tard dans ce séjour délicieux. Laroute
est déjà plus large et plus praticable. On ne s’écarte d.es bords de la mer que
pour traverser quelques collines rocailleuses qui s’avancent en promontoire ; il
faut même marcher fort souvent dans les sables mouvants de la plage. Sur la
droite règne une chaîne de coteaux et de basses montagnes connues sous le nom
de Chapas de Malaga; elles sont plantées de vignes, toutes destinées comme
à Velez, à faire despasasy raisins secs qu’on prépare tantôt dans de grands séchoirs
pavés en brique, tantôt simplement sur la terre dans la vigne même.
Rien de plus animé et de plus riant que le pays que nous traversions, surtout
dans cette saison printannière où les ardeurs du soleil n’en ont pas encore desséch é
la verdure. Parmi les haies d’agave et de cactus dont on entoure les plantations,
je cueillais le Crambe filiformis aux longs rameaux grêles et dégarnis de feuilles,
le Phcignalon saxalïle, et surtout la magnifique Aristolochia Bcelica, qui
entrelaçait partout ses tiges grimpantes couvertes de fleurs d’un rouge brun et
de la forme d’une pipe* Sur les collines les plus arides croissait le Statice si-
nuata, que le bleufoncé de ses calices fait rechercher comme ornement et dont
on vend des bouquets sous le nom de Sempreçiça a zul, immortelle bleue. Les
sables maritimes même, ordinairement si stériles, empruntaient alors une teinte
rose aux fleurs nombreuses de la Matthiola tncuspidata. Une foule de paysans
et d’ouvriers, de longues files d’ânes et de mulets annonçaient 1 approche d une
grande ville, et a chaque pas nous rencontrions des ventorillos, espèces de
guinguettes qui ne consistent souvent qu’en un simple abri de feuillage, où le
muletier trouve du vin, de l’eau-de-vie, du pain, des sardines frites, et où
Yalcarraza, vase de forme antique et d’une terre poreuse, se trouve toujours
rempli d’une eau fraîche et restaurante, et est offert gratis à tout voyageur. Ici,
comme dans les environs de Malaga, le manque de sources et de rivières oblige
à arroser les terres au moyen de puits qui descendent au-dessous du niveau de
la mer, et dont on retire l’eau à l’aide de deux roues grossières garnies de pots
de terre, et mues lentement par des boeufs..
Au tournant d’un rocher, la grande tour d’un fanal se montra tout à coup et
m’annonça Malaga. La position de cette ville est admirable ; elle est appuyée
contre les hauteurs dont j ’ai parlé, au pied du vieux château maure de Gibral-
-faro qui en occupe une des dernières sommités. Au-delà s etend une vaste
plaine ou vega, dont les cimes neigeuses des montagnes de Ronda qu on aperçoit
à huit lieues limitent seules l’étendue à l’ouest. Plus près, la Sierra de Mi-
ja s , moins élevée et parsemée de villages à sa base, ferme le golfe vers le midi
et cache la continuation de la côte dans la direction de Gibraltar. J’allai descendre
à la Fonda de la Esperanza, un des meilleurs hôtels d’Espagne, où j e
retrouvai, non sans plaisir, toutes ces petites confortabilités de la vie civilisée
dont on ne sent tout le mérite qu’après en avoir été longtemps privé. J étais
arrivé le jour d’une grande solennité ; c’était, je crois, la fete de la reine. Les
vaisseaux étaient pavoises dans le port; le soir, une grande partie de la ville
fut illuminée ; une foule immense circulait sur la place de la Constitution, où
une excellente musique militaire exécutait les plus beaux morceaux de Rossini
et de Bellini. C’était un admirable spectacle que cette nuit de fête, sous un ciel
pur et étoilé, dans lequel brillait comme une constellation nouvelle la coupole
de la cathédrale gracieusement indiquée par une série de lumières.