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positions de la ville; de mes fenêtres je pouvais distinguer à la droite, le P i-
cacho et le Cerro del Caballo, sommités de la Sierra Nevada, tandis qu’en face
de moi YÀlhambr a et les Torr es Bermejas,àx\ haut de leurs collines, semblaient
régner encore sur la vieille cité.
CHAPITRE X.
Grenade..
Ma première visite fut pour l’Alhambra vers lequel je m’acheminai sans
guide, jouissant singulièrement de ce petit voyage de découvertes à travers
les rues tortueuses de Grenade. Je suivis d’abord la Carrera de Xenil la plus
large de toutes; elle est plantée d’une double rangée de peupliers et bordée
de beaux édifices parmi lesquels l’églisé de Nuestra sehora de las Angusiias
élève ses tours jumelles quLse détachent sur les pentes neigeuses de la Sierra.
M’enfonçant ensuite sous une antique arcade, j ’arrivai sur la Vivarràmbla,
place si célèbre à l’époque arabe par les combats singuliers et les scènes de
chevalerie dont elle fut le théâtre ; elle forme, un carré long au milieu de
palais d’une^vénérable et élégante architecture. Je remontai de là le long du
Zacatin, rue très-étroite mais la plus fréquentée de Grenade. Presque tout le
commerce y est concentré et les boutiques très-petites ont conservé la même
disposition que celles de Malagâ. Parallèlement au Zacatin coule le Darrô resserré
dans une espèce de ravin, sur lequel sont jetés pittoresquement et sans
ordre de vieilles arches, des ponts souvent en ruine, mais le fleuve aux paillettes
d’or était alors complètement à sec; ses eaux très-peu abondantes en
été, sont réunies dans de grands réservoirs d’où elles?se distribuent par des Conduits
souterrains dans toutes les maisons de la ville. Ee Darro sort pourtant
quelquefois de cet état de somnolence à la grande terreur des Grenadins; à
la suite de fortes pluies dans les montagnes, les eaux arrivent avec fine rapidité
extraordinaire, remplissent leur lit et inondent toutes les rues environnantes
en renversant les* maisons. C’est ce qu’on appelle une averiida, heureusement
elles ne durent pas longtemps à cause de la pente assez forte du terrain.
Au haut du Zacatin j ’arrivai sur la Plaza Nuêva devant l’antique palais
de la Cancelleria où réside le gouverneur; j ’avais là à gauche cette colline et
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ce quartier de l’Albaycin où habitait autrefois toute la classe inférieure, et qui
joua un si grand rôle dans les dissensions intestines du royaume de Grenade.
A droite la rue étroite et rapide de los Gomeles me conduisit à la colline de
l’Alhambra. Ami-hauteur une porte et une inscription indiquent qu’on est
arrivé .dans la juridiction de la forteresse qui, depuis le 2 janvier 1492
où elle fut solennellement rendue par les Arabes à Ferdinand et Isabelle,
a toujours eu un gouverneur particulier et est régie par un tribunal èt des
lois spéciales. Là commence un délicieux vallon entre des collines couvertes
de bois épais d’ormeaux et de peupliers, et couronnées, celle de
droite, par les Torres Bermejas, celle de gauche par l’Alhambra lui-même.
La fraîcheur, les ombrages épais de cet endroit charmant, acquièrent
plus de prix encore au milieu de cette nature espagnole toujours nue et
brûlée. Des sentiers bien entretenus le traversent en tous- sens, et condui-
sent à des parterres disposés avec. goût et émaillés de fleurs. C’est vers le
soir le rendez-vous de la société élégante de Grenade, qui vient y écouter
le bruit dés fontaines et le^çhant de mille rossignols. En montant sur
la gauche, j ’arrivai bientôt devant une tour gigantesque, isolée, qui semble
placée là pour barrer le passage. Sa masse carrée est percée d’une
suite de ces^ arcades rétrécies par le milieu et qui caractérisent l’architecture
des Arabes, c’est la puerta del.Juicio, ou porte du Jugement, qui donne
entrée dans la citadelle. Sur le ceintre on voit encore sculptées sur la
pierre une clef et une main gigantesques aux. doigts étendus. La clef faisait
allusion au pouvoir d’ouvrir et de fermer les portés’ du paradis, c’était
l’écusson particulier des monarques de l’Andalousie. La main était le symbole
mystique de la foi musulmane* chaque. articulation en rappelait un
dogme et leur étroite adhésion indiquait leur réunion dans l’unité de Dieu.
Au sommet de la colline est une petite placé entourée de vieilles tours,
avec de grands puits où l ’eau du Darro, amenée par des conduits souterrains,
vient se rafraîchir et est distribuée moyennant un faible droit
aux aguadores qui la transportent dans toute la ville. En face, est un gigantesque
palais à quatre faces commencé par Charles-Quint et qui n’a jamais
été achevé; il ne m’inspira que de l’indignation lorsque je me rappelai
que pour le construire on avait détruit les appartements d’hiver de
la résidence arabe, qui en étaient la partie la plus élégante et la plus
somptueuse.
L ’exterieur de ce qui reste de l’Alhambra ne répond pas à l’idée que l’imagination
s’est formée d’avance : une simple porte pércée dans un mur lui sert