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des Arabes qui construisaient ainsi leurs cite's. Presqu’à chaque pas on rencontre
de petites croix noires plaquées contre les murs avec une inscription,
et qui indiquent le lieu d’un assassinat. C’est ce qu’on nomme en Espagne
des milagros ou miracles; je ne sais en vérité' pourquoi, car rien n’est moins
miraculeux dans ce pays que le crime dont elles rappellent le souvenir. Je n’ai
nulle part vu autant de ces croix qu’à Valence, et la date récente de la plupart
n’indiquait pas de diminution dans le nombre de ces meurtres dus
presque tous à des haines particulières ou politiques.
Le matin on voit partout les labradores occupés à charger avec soin sur
leurs mulets le terreau et les immondices des rues, dont ils se servent comme
d’un précieux engrais; le vêtement de ces hommes est fort original ; sous un
grand gilet bleu sans manches et fait d’un velours grossier, ils portent des pantalons
de toile très-amples et qui, descendant jusqu’au genou, ressemblent à
une espèce de jupe ; leurs jambes sont nues, à l ’exception d’un chausson court et
des rubans de leurs espartilles. Ils sont coiffés d’un bonnet bleu ou d’un simple
mouchoir roulé autour de la tête. Ce costume léger et presque africain, fait le
plus singulier contraste avec celui du grave Valenciano, enveloppé des pieds à
la tête dans son manteau sombre ; on dirait deux races: créées pour des climats
opposés. -
Parmi les antiques monuments que renferme Valence, je fus frappé de la
hauteur et de la forme pittoresque de la tour dite du Cid, qui est construite
sur cette partie de l’enceinte que ce guerrier emporta d’assaut. La cathédrale
est d’une noble architecture, mais le choeur, placé au milieu comme dans les
églises espagnoles, en gâte l’effet. L’intérieur contient quelques beaux tableaux
de l ’école Valencienne; je n’en oublierai jamais un qui représente un malade
en délire tourmenté par une horrible vision; ses membres raidis d’horreur, son
regard égaré sont rendus avec une vérité effrayante et font un admirable contraste
avec le calme et la ferveur d’un religieux en prière auprès de sa couche.
Par une faveur spéciale, je pus monter sur la tour que l ’on interdisait à tout
le monde, de peur de communications par signaux avec les carlistes. On plane
de là sur la ville dans toute son étendue, mais les maisons sont si hautes et si
serrées, qu’on ne distingue presqu’aucune rue et que l’enceinte de cette cité ne
donne pas une juste idée de sa population. De là haut la huerta de Valence se
déploie sous les yeux dans son entier, depuis les ruines de Murviedro qu’on a
au nord, jusqu’à Cullera au midi. C’est un admirable spectacle que celui de Cette
plaine verdoyante décrivant un arc de cercle entre une chaîne de collines à l’occident
et les ondes bleues de la Méditerranée, avec ses soixante villages et ses
huit grandes acequias ou canaux qui vont disséminant partout les eaux duGua-
dalaviar. Aumidi delà ville, on voitle grand lac salé d’Albuféra et l’on distingue
à leur teinte particulière les cultures de riz qui l’entourent. On sait que le système
d’irrigation des environs de Valence est l ’ouvrage des Arabes, et qu’il est
soumis à: une législation et à un tribunal particuliers; sa perfection est telle, que
les eaux de la rivière, quoique peu abondantes en été, suffisent pour fertiliser
quatre à cinq lieues carrées de terrain.
Sur la place du marché, je remarquai avec intérêt des productions végétales
particulières^au pays, comme des chufas, tubercules du Cyperus esculentus.
qui ont le goût de la noisette et qu’on expédie dans toute l’Espagne pour faire
de l ’orgeat, des cacahuètes qui sont les gousses souterraines de l'JLrachis
hypogoea, et de jeunes pousses de palmitos ou Chamoerops humilis, qu’on
mange ici crues avec de l ’huile et du vinaigre: Il y avait aussi des régimes de
dattes, mais elles étaient d’une variété âpre qu’il faut, de même que les
olives , soumettre à une préparation. On vendait aussi diverses espèces d’escargots
dont les-plus abondantes étaient les H élix aspersa et jdlonensis. Sur cette
même place est la Lonja de la Seda, halle aux soies > bel et antique édifice à
colonnes torses. Le bâtiment o iil’on vend le blé est digne d’être vu, il est couvert
à l ’intérieur de vieilles peintures très-curieuses, et des cierges sont allumés
en permanence sur deux autels placés à chacune des extrémités.
Je ne manquai point d’aller visiter le jardin botanique, immense clos situé
hors de la ville à proximité des murs. Cet établissement dont le terrain est
admirable, pourvu d’abondantes eaux, et sous un ciel qui permettrait à la plupart
dés plantes des pays chauds dé croître comme dans une seconde patrie,
était tombé dans un état presque complet d’abandon. On y voyait encore çà et
là quelques végétaux précieux, restes de sa splendeur passée, entre autres un
magnifique buisson de Mahoniafascicularis, haut-de plus dé vingt-cinq pieds
et en pleine fleur ; il y avait des Buddleia globosa presqu’aussi grands et des
chamærops gigantesques. Ce jardin sert encore aux étudiants en médecine qui
viennent y chercher quelques plantes médicinales^ mais quant à la botanique
proprement dite, personne, je crois, ne s’en occupait à Valence lorsque j ’y
passai. On m’avait cependant indiqué un médecin dont l’herbier était en grand
honneur dans la ville et que je me dépêchai bien vite d’aller voir pour prendre
une idée de la végétation des environs; mais je fus désappointé en ne
trouvant que quelques débris d’échantillons cueillis jadis dans quelque jardin,
avéc des feuilles cousues sur du papier, à la manière des anciens botanistes. Je
m’amusai fort de l’admiration d’une vieille gouvernante qui me faisait voir