observons ensuite de plus près et avec plus d’attention , nous
verrons par-tout la variété le disputer à la profusion ; nous
verrons d’une part des nuances de grandeur, de port, de figure
et de couleur multipliées à l’infini ; de l’autre, les végétaux les
plus disparates placés les uns à côté des autres, souvent meme
confondant leurs tiges entrelacées. En comparant les grandeurs
, nous verrons encore les extrêmes se toucher , et les
mousses les plus délicates croître au pied et sur le tronc meme
de ces arbres qui élèvent avec majesté leur tete dans les air®
Enfin , comme si toutes les saisons existoient à-la-fois, à coté
de quelques feuilles naissantes , se présentera souvent une tige
ornée de fleurs nouvellement épanouies , tandis qu’un peu plus
loin, des graines prêtes à s’échapper de leur enveloppe desséchée’,
nous offriront à-la-fois et les signes d’un dépérissement
prochain, et les gages multipliés de la reproduction qui doit
suivre.
La première impression que cette vue fera sur nous, sera
sans doute un sentiment d’admiration pour cette Puissance souverainement
libre et indépendante , qui se joue dans cette immense
variété d’êtres, où l’uniformité et la symmétrie auraient
semblé plutôt annoncer la marche gênée et timide d’une cause
limitée.
Mais l’esprit de l’homme est borné, et se trouve comme accablé
sous cette multitude prodigieuse d’individus de toute espèce
, dont les modèles se rangent sans confusion dans mie
intelligence infinie, parmi ceux de toutes les créatures possibles.
Aussi n’a-t-on trouvé jusqu’ici d’autre moyen pour parvenir à
bien connoître le tableau de l’Univers, que de le diviser , d’y
tracer par-tout des lignes de séparation, et de déplacer même
par l’imagination, les'parties qui le composent, pour les soumettre
à des arrangemens méthodiques et proportionnes aux
limites de nos conceptions. De là ces distributions de plantes
par classes , par familles, par genres , etc. ; de là , en un mot,
ces nombreux systèmes qui ont tant exercé la sagacité de 1 esprit
humain, mais qui ne sont au fond qu’un aveu de sa foi-
blesse, déguisé sous un appareil imposant et scientifique.
Ces divisions eussent été sans doute de la plus grande utilité,
si on les eût réduites à leur véritable usage , en ne les employant
que comme des moyens artificiels propres a suppléer
aux bornes de notre esprit, et à nous aider dans 1 étude
immense de la Nature. Mais le grand mal est que les Naturalistes
ont presque toujours perdu de vue leur objet, qu’ils ont
mis, si j’ose ainsi parler, sur le compte de la Nature ce qui
étoit leur propre ouvrage, et ont prétendu juger, par leurs
divisions factices et arbitraires, des loix essentielles auxquelles
tous les êtres sont soumis, et des vrais rapports qui peuvent
servir à les rapprocher. En un m ot, séduits par une erreur
considérable de métaphysique qui a retardé leurs progrès et
fait perdre à leur travail la plus grande partie de sa valeur
ils ont toujours confondu le moyen qui peut perfectionner et
agrandir nos vues pour nous faire juger des productions de la
Nature, et établir entre elles une juste comparaison , avec celui
qui doit servir seulement à nous les indiquer et à nous en apprendre
les noms, qui ne sont que de pures conventions nécessaires
, à la vérité , pour nous entendre, mais absolument étrangères
à la marche de la Nature.
C’est pour faire connoître, et j’ose dire démontrer la différence
essentielle de ces deux moyens, la nécessité absolue de
ne jamais les confondre ; en un m ot, celle de les employer
l’un et l’autre, mais toujours séparément, que je me propose
d’examiner certaines opinions qui ont, été regardées jusqu’ici
comme des loix en Botanique ) opinions qui me paraissent très-
défectueuses , et même contraires aux progrès de nos connois-
sances dans cette partie intéressante de l’Histoire Naturelle.
Pour mettre dans un plus grand jour ce que j’ai à dire sur
cette matière, je diviserai ce Discours en quatre parties.
Dans la première , je parlerai de l’état actuel de la science
que j’entreprends de traiter, et je ferai voir que les difficultés
que l’on éprouve par-tout en l’étudiant, sont rebutantes et presque
insurmontables.
La seconde sera destinée à un examen plus particulier des
moyens que l’on a employés jusqu’ici pour faciliter l’étude de
la Botanique. Je ferai voir que l’insuffisance de ces moyens
et l’incertitude qui en résulte de toutes parts, sont les suites
nécessaires des opinions mal fondées par lesquelles les Bota-
nistes se sont laissés dominer.
La troisième partie traitera de la meilleure manière de voir
et de travailler en Botanique. J ’y exposerai les objets qu’il est
indispensable de se proposer dans cette science , et le véritable
point de vue sous lequel on doit les envisager.
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