CHAT A COLLIER.
D ans la marche ordinaire des idées on en forme d’autant plus de générales qu’on
en acquiert plus de particulières, ou les' idées particulières servent à s’éclairer
mutuellement par leur comparaison, même lorsque l’esprit ne peut en induire
aucune proposition commune. C’est du moins la marche qu’elles suivent dans toutes
les recherches d’histoire naturelle : à mesure que les faits individuels s’accumulent,
ils se généralisent ou se distinguent, et par là tirent l’esprit de cet état de
vague et d’incertitude qui semble opposé à sa nature, et auquel il cherche continuellement
à échapper.
Le contraire semble avoir lieu pour toutes les observations qui sé sont faites et
qui se font encore chaque jour sur les petits Chats tachetés de l’Amérique méridionale.
Les faits nouveaux de ce genre n’ont du moins jusqu’à présent fait naître
que des doutés, et, au lieu de lumière, on dirait que ce n’est que de l’obscurité
qu’ils répandent sur l’histoire de ces animaux : tous restent isolés, et leur différence
même est [telle qu’on ne peut en marquer nettement la mesure.
Sans doute c’est que ce sujet, plus compliqué et plus difficile que la plupart des
autres de même espèce^ a besoin d’un plus grand nombre de faits que Ceux qu’on
possède pour être éclairé; mais quand l’expérience nous donne de semblables leçons,
quand nous voyons, pour ainsi dire, la nature se jouer de notre faiblesse, et faire
en quelque sorte passer et disparaître les êtres sous nos yeux, comme s’ils n’étaient
que des fantômes, que des apparences sans réalité, on s’étonne quelquefois d’oser
présenter une vérité générale comme certaine, et même comme absolue.
Plusieurs essais ont déjà été tentés pour déterminer d’une manière précise les
espèces entre lesquelles se partagent ces Chats de petite taille, à pelage tacheté , et
originaires des parties chaudes du Nouveau-Monde, qui se présentent à nos observations
modifiés de tant de façons; aucun d’eux n’est satisfaisant, n’est propre à
dissiper toutes les incertitudes, et nous ne comprenons même pas que, dans
l’état actuel des choses, il en puisse être autrement.
Ces Chats, qui ne se ressemblent ni ne diffèrent assez pour qu’on puisse les réunir
en une seule ou en plusieurs espèces, sont au nombre de plus de quinze ; et celui
que je me propose de décrire aujourd’hui ne s’associe nettement à aucun d’eux,
ni ne s’en sépare d’une manière tout-à-fait tranchée, c’est-à-dirè par des modifications
assez importantes pour qu’on n’ait pas la crainte qu’elles soient accidentelles;
il ne fera donc guère qu’ajouter une difficulté de plus à celles qui existaient déjà;
mais du moins cette difficulté ne sera pas de nature à induire en erreur, et ce n’est
pas le caractère de toutes les difficultés qui existent dans le sujet que nous traitons.
En effet, plusieurs de ces Chats n’ont été représentés et décrits qu’après la préparation
de leur peau par l’empaillage: or, il est rare que les peaux, dans ces préparations,
n’éprouvent pas des modifications considérables; car, s’étendant ou se
raccourcissant, les taches dont elles sont couvertes changent de formes ou de
rapports, de manière souvent à les rendre méconnaissables.