BOUQUETIN DES PYRÉNÉES
J e ne crois pas qu’il existe d’ouvrage d’histoire naturelle dans notre langue où l’on
ait donné une bonne figure de l’espèce du Bouquetin ; et si l’on en croit les personnes
qui ont visité avec le plus de soin les montagnes de la Suisse, cette espèce y est
devenue d’ une telle rareté, que l’on devrait craindre de la voir bientôt diparaître,
et d’être dans peu de temps hors d’état d’en avoir jamais une figure complète, et
telle que la connaissance exacte d’une espèce le demande. C’est ainsi qu’on néglige
les richesses qu’on a sous la main pour se livrer à la recherche de celles qu’on ne
peut atteindre qu’à force de peine. Les bonnes figures d’animaux des pays les plus
éloignés sont en effet aussi communes dans les ouvrages d’histoire naturelle que
celles du Bouquetin y sont rares. La chasse passionnée dont cette espèce est l’objet,
comme celle du Chamois, a sans doute contribué à amener le danger qui la menace
aujourd’hui; mais ce résultat a été beaucoup moins direct qu’on ne paraît communément
le penser. Les régions glacées où nous avons forcé le Bouquetin à se
réfugier pour nous fuir lui ont été plus ennemies encore que nos armes à feu ; et
comme l’effroi que nous lui inspirons ne diminuera pas, et que les glaciers ne lui
offriront jamais ni de meilleurs abris ni plus de nouritu're qu’ils ne lui en offrent
aujourd’hui, on peut craindre qu’en effet son espèce ne disparaissé de nos montagnes
avant que nous soyons parvenus à la connaître.
Le Bouquetin dont je donne aujourd’hui la figure ne suppléera pas à ce que demandent
nos ouvrages d’histoire naturelle. L ’individu que cette figure représente
était encore très-jeune, et son développement ne se faisait pas avec'la force caractéristique
des individus qui jouissent d’une bonne constitution. Aussi n'a-t-il vécu
que quelques mois à notre ménagerie, et il y a passé ce peu de temps dans un état
de faiblesse et d’abattement tout-à-fait contraire à la nature des animaux de son
âge. Mais si ce Bouquetin ne nous offre pas un type pur et complet de son espèce,
il devient le représentant d’une race dont les naturalistes, que je sache, ne s’étaient
point encore spécialement occupés, de celle qui habite les Pyrénées. Le nom
même de Bouquetin, tout-à-fâit germanique, qui signifie Bouc de rochers, et
que nous avons adopté de préférence à tout autre, montre assez de quelles contrées
nous sont venues les premières notions que nous avons acquises sur cet
animal. Aussi ce nom n’est pas le sien dans les Pyrénées , et Gaston Phæbus
{Vénerie de Dufouilloux3 feuil. 121 et 122) ne nous en parle que sous celui de
Bouc sauvage; c’est en effet à ce souverain du comté de Foix, presque aussi
célèbre par sa beauté et sa vaillance que par sa passion pour la chasse, que nous
devons la première description du Bouquetin des montagnes sur lesquelles sa domination
s’étendait. Nous croyons même devoir transcrire ici ce qu’il en rapporte,
car rien n’a été dit depuis sur cette race des Pyrénées qui soit ni aussi étendu
ni aussi exact.
« Il y a deux sortes de Boucs, les uns s’appellent Boucs sauvages, et les autres
« Ysarus, autrement dit Sarris; les Boucs sauvages sont aussi grands qu’un Cerf :
<f mais ne sont si longs, ni si enjambés par haut, ores qu’ils aient autant de
« chair; ils ont autant d’ans que de grosses raies qu’ils ont au travers de leurs
a cornes... Ils ne portent que leurs perches, lesquelles sont grosses comme la
a jambe d’un homme, selon qu’ils sont vieils. Ils ne jettent point ni ne muent