RENNES.
qui vécut peu de temps, et dont mon père a fait représenter la femelle (3 1"livraison),
mais sans avoir pu en observer autre chose que les dépouilles. Actuellement la ménagerie
du Muséum en possède trois individus qui lui ont été donnés, en i 832, par
M.°Le François, du Havre. Un quatrième, venu avec les précédents, est mort au
bout d’un an : c’est le mâle que nous avons représenté dans son pelage d’été (68" livraison);
il était entier. Parmi ceux qui nous restent, deux sont également mâles,
mais hongres, et le troisième est une femelle. Nous avons donné la figure de celle-ci
dans la 6g" livraison ; nous donnons aujourd’hui, dans la 72', la figure d’un des mâles,
dans son pelage d’hiver. • • j
Cette petite troupe de Rennes peut servir à nous donner une idée des variations de
couleur dont leur pelage est susceptible, mais dont le blanc, le noir, le brun et le fauve,
diversement distribués, paraissent toujours faire la base. On voit, par notre figure,
que l’un de nos mâles, dans son pelage d’été, avait la tête, le dos, le ventre, les cuisses
et les membres antérieurs et postérieurs presque uniformément fauves; que le bout du
museau, l'angle de la mâchoire e lle cou étaient blancs ; qu’une raie de même couleur
s’étendait le long des flancs .depuis le cou jusqu’à la cuisse ; les fesses, le dessous de la
queue et un anneau au-dessus des sabots, sont blancs, ce qui pourrait bien être la partie
fixe des couleurs de l’espèce, ainsi que le fait remarquer mon oncle (ouv. cit.) ; car
tous nos Rennes offrent la même disposition. L’individu dont nous parlons ici, prenait,
en hiver, une teinte blanchâtre uniforme, assez semblable à celle du mâle hongre que
nous représentons dans son pelage d’hiver.
Notre autre mâle, dans le même pelage, était presque entièrement brun, lavé de
blanchâtre sur les côtés du cou et sur les flancs; il ressemblait beaucoup; sous ce
rapport, à la femelle que nous avons figurée : on voit que, dans celle-ci, la distribution
des couleurs est assez peu différente, également, de celles de la jeune femelle de la
3 j. livraison. Notre femelle actuelle, et le mâle qui lui ressemble, conservent assez
sensiblement les mêmes couleurs dans leurs deux pelages. Tous ont les poils plus
longs au-dessous du cou que dans les autres régions.
Nos Rennes offrent, d’ailleurs, cette physionomie et ces formes qui ont frappé tous
les observateurs ; ils n'ont ni la finesse des jambes du cerf, ni celle de sa tête, ni l’élégance
de ses proportions, ni la grâce de son port, ni la légèreté de ses mouvements ;
leur large museau, leurs narines écartées, leur cou court, leur tête qu’ils portent d’ordinaire
au niveau des épaules, leurs sabots larges, expliquent très-bien que César ait
comparé le Renne à un boeuf.
Nos figures montrent le caractère général des bois du Renne. Leur grande courbure
, dont la convexité est en dehors et en arrière ; leur tige lisse, un peu comprimée,
et grêle en proportion de leur longueur; leurs andouillers palmés à leur extrémité;
leur premier andouiller, naissant à la racine du bois, et revenant en avant au-dessus du
front, ne permettent pas de les confondre avec d’autres bois, sans qu’il soit besoin de
s’arrêter au nombre des divisions qui varie beaucoup. Notre femelle, qui est plus petite
que les mâles, a aussi des bois plus grêles; elle a perdu ceux de cette année au
commencement de mars.
On peut regretter que nous n’ayons pas conservé un mâle entier, car ces animaux se
seraient facilement reproduits chez nous, comme ils l’ont fait dans le nord de 1 Allemagne
( 1 ). Mais nosdeux mâles châtrés nous ont au moins fourni l’occasion de rectifier une
(i) Voy. Buflon, Suppl., t. vii, p. 334.
erreur assez répandue sur les bois de ces animaux. Linnoeus a avancé, je ne sais sur quel
fondement, que le bois du Renne tombe et se renouvelle même après la castration. Son
élève Hoffberg (Amoenit. acad., t. IV) s’élève fortement contre Hulden et contre Schef-
fer, qui disent le contraire, et, sur l’autorité du grand naturaliste suédois, ses successeurs
ont accueilli comme vrai un fait qui serait une grande déviation des lois connues de la
nature. Bufion ne se croit pas en droit de le mettre en doute, et Pallas le répète
avec assurance. Ce qui est vrai, cependant, c’est que nos deux individus, qui paraissent
déjà vieux, et qui sont à la Ménagerie depuis sept ans, ne diffèrent en rien
des autres cerfs, sous ce rapport; leurs bois ne sont pas tombés; ils portent encore
aujourd'hui ceux qu’ils avaient à leur arrivée ; seulement , ces bois qui étaient fort grands
alors, sont maintenant beaucoup réduits, parce que chaque année ces animaux en ont
cassé quelque fragment. Il paraîtrait, en effet, que ces bois permanents deviennent
très-fragiles à mesure que l’animal vieillit ; quelques uns des fragments que j’ai examinés
étaient très-celluleux, et même entièrement creux. Mais la castration, si elle
empêche la chute des bois, n’interrompt point cette espèce d’effort végétatif qui a
lieu, chaque année, à une certaine époque, vers les régions frontales. Du moins, la base
des bois de nos Rennes était déformée par d’énormes végétations recouvertes d’une
peau mince et velue, qui s’y accumulaient chaque année.
Nos Rennes font tous entendre, quand ils marchent et surtout quand ils courent,
ce bruit singulier qui a frappé l’attention de tous les observateurs, et que l’on a comparé
à divers bruits, comme celui de noix agitées les unes contre les autres, etc. Des auteurs
l’ont attribué à un craquement de l’articulation même, d’autres au choc des
deux sabots du pied l ’un contre l’autre ; mais il m’a semblé, si mon observation ne
m’a pas trompé, que les deux explications sont vraies, et que les deux causes contribuent
au bruit que font ces animaux en courant.
Pour son organisation intérieure, le Renne ressemble toiit-à-fait au reste des cerfs.
On sait seulement qu’il n’a point de mufle, et son larmier est garni de petits poils
courts très-épais. On lui attribuait la faculté de voir, les yeux fermés, par un petit
trou dont la paupière serait percée; mais Camper a démontré, par une dissection
attentive, que c’était une fable. Camper a aussi fait connaître ( Mélanges d'histoire
naturelle. Paris, 3 vol. in-8, et atlas) deux particularités de l’organisation du Renne.
L ’une, qu’il a figurée (pl. v , fig. 12), est une]petite poche placée sous la peau, au-
devant du larynx, et qui communique avec cet organe; l’autre est un petit canal
rempli d’une sorte de matière sébacée, et qui remonte assez profondément sous la
peau, au-dessus du sabot; il l’a vu tantôt aux pieds de devant, tantôt à ceux de
derrière.
Si le Renne a quelque chose de la physionomie du boeuf, il a aussi quelque chose
de son naturel. Il paraît moins timide, moins prompt dans ses mouvements que le
cerf, et cette qualité aura sans doute contribué à rendre plus faciles aux peuples septentrionaux
les moyens de l’appliquer à leurs usages. Quant à la faculté principale qui
a permis d’en faire un animal domestique si utile aux habitants de ces tristes contrées,
on sait, ainsi que mon père l’a démontré, que c’est leur instinct de sociabilité, sans
lequel ces animaux auraient bien pu être apprivoisés, mais ne se seraient jamais associés
intimement à la vie et. aux travaux des hommes.
Au reste, le Renne, comme le boeuf, 11e subit qu’en partie le joug de la domesticité;
il n’y a que la femelle qui devienne véritablement domestique ; pour assujettir le mâle
au travail et en obtenir l’obéissance, on a besoin de le mutiler. Le Renne entier, comme