3 MULET D’UN BONNET-CHINOIS,
comme de simples conjectures, il n’en résulterait aucun inconvénient ; mais en
voulant faire reposer des réalités sur ces hypothèses, en voulant conclure d’une
manière absolue de ce qui n’est pas absolu, et faire naître le certain du douteux,
on s’égare de propos délibéré, on abandonne les voies de la science, et les résultats
auxquels on est conduit ne lui appartiennent plus : ils appartiennent à un autre
ordre d’idées, au lieu de dépendre de la faculté de l’intelligence qui domine toutes
les autres dans les travaux scientifiques; ils échappent à son autorité, et passent de
l’empire de la raison à celui de l’imagination. Or, rien jusqu’à présent n’autorise à
présenter la reproduction indéfinie des mulets, caractère des espèces, autrement
que comme un hypothèse; et jusqu’à ce que des faits bien constatés mettent
cette reproduction hors de doute, tout ce qu’on en conclura sera conjectural,
imaginaire, et plus propre à faire partie du roman de la nature que de son histoire.
Le Mulet que nous faisons connaître aujourd’hui est un fait nouveau à ajouter
à ceux que l’on possédait déjà : c’est la première Tois que deux espèces de Macaques
se sont unies et ont produit ensemble ; et il est à remarquer que ces deux espèces
présentent des différences notables dans leurs caractères génériques. En effet, le
Bonnet chinois (M. sinicus) a , comme on sait, les poils du dessus de la tête disposés
en forme de calotte, et partant tous en rayonnant d’un centre commun,
tandis que le Macaque (M. cjnomolgus) a ces poils couchés uniformément d’avant
en aarrière ; d’un autre côté, la verge de la première espèce n’a pas la même structure
que celle de la seconde. Au reste, nous devons dire que les modifications des
organes génitaux paraissent être beaucoup moins importantes aux fonctions que
celles des autres systèmes organiques, et que les rapports qu’on croirait devoir
fonder sur elles ne conduiraient qu’à d’assez minces résultats, ce qui explique la
fécondation d’une espèce par l’autre, malgré la différence des organes.
Le Bonnet-Chinois était un individu vigoureux et très-adulte, et la Macaque,
adulte elle-même, avait déjà eu un petit d’un mâle de son espèce. Ces.deux animaux
ne s’étaient jamais vus; néanmoins, dès qu’ils furent réunis, la meilleure
intelligence s’établit entre eux, et ils s’accouplèrent, mais ce ne fut qu’au bout
de deux ans que la femelle fut fécondée, L a , gestation ne ralentit point les approches
du mâle, et elle mit bas, vers la fin de décembre 1829, un jeune mâle
qu’elle nourrit avec soin, et auquel le Bonnet-Chinois ne fit jamais aucun mal. La
sollicitude de la mère pour son petit fut absolument la même que celle que nous
avons fait connaître en décrivant le jeune Rhésus né dans notre ménagerie; et ce
sentiment, quoiqu’à un moindre degré, fut partagé par le mâle.
Ce jeune animal ressemble à sa mère ; il a son pelage verdâtre aux parties supérieures,
et d’un gris jaunâtre aux inférieures, sa longue queue grisâtre et sa
face couleur de chair ; mais il n’a point encore les favoris blanchâtres des adultes ;
ses tempes et les côtés de ses joues sont encore nus; et ce qui le caractérise,
c’est sa grosse tête, et les nombreux plis, les nombreuses rides de sa face. Sur le
sommet de la tête et tout le long du dos, le pelage est plus foncé que dans les
parties voisines, comme chez le Maimon ; la portion noire des poils l’emporte de
beaucoup sur la portion jaune, ce qui n’est pas aussi marqué chez les Macaques;
enfin ses oreilles sont d’un jaunâtre couleur de chair, tandis qu’elles sont noires
chez les Macaques comme chez le Bonnet-Chinois.
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