2 PANTHÈRE M A L E , V IE IL L E .
être avec succès que dans les contrées naturelles à ces animaux, comme il est à
présumer que le sont la Barbarie ou le Sénégal; mais le calme et la sécurité que
les travaux scientifiques demandent n’est pas plus offerte aujourd’hui aux naturalistes
dans le voisinage de l’Atlas que chez les peuplades delà Sénégambie.
Le nom de Panthère que j ’ai donné à l’animal qui fait l’objet de cet article ne
doit point faire supposer que j ’ai entendu désigner la véritable Panthère. Je lui ai
donné ce nom, d’abord parce qu’il était indispensable que je le distinguasse par
une simple dénomination, ensuite parce que, venant d’une contrée où tout fait
présumer que la Panthère se trouve, il pourrait appartenir à cette espèce, s’il ne
nous présente pas toutefois le type d’une espèce nouvelle. Cette Panthère mâle,
vieille ne doit donc être considérée que comme un fait nouveau qui pourra aider la
critique dans ses recherches et l’éclairer dans ses investigations.
Depuis long-temps on a reconnu que le moyen de se soustraire aux difficultés
que présentent l’histoire des grands Chats tachetés serait de recommencer les
observations, sans tenir compte de celles qui ont précédé; mais tout en agissant
ainsi, on n’a pu résister au besoin de rechercher à quelles observations antérieures
celles qu’on venait de faire se rapportaient, et il en est résulté un mélange d’idées
d’où la vérité n’a pu sortir avec toute sa pureté : encore si ces rapprochemens ne
s’étaient pas portés sur des animaux de contrées fort éloignées les unes des autres,
le mal aurait été moindre ; mais réunir aux difficultés qui naissent' de la variation de
caractères spécifiques sous un même c iel, à celles qui résultent de la différence des
pays, c’était trop, et nous en avons la preuve dans l’oubli où M. Temminck est
tombé par l’accumulation de ces difficultés, en transportant exclusivement à Java,
à Sumatra, au Bengale la patrie de la Panthère, de cet animal que lès Romains
réunirent en si grand nombre dans leurs jeux du cirque, et qu’ils tiraient, comme
ils nous l’ont appris eux-mêmes, de l’Asie mineure et de l’Afrique.
C’est de ce dernier pays que notre Panthère mâle vieille est originaire; elle avait
été élevée toute jeune à Alger, d’où elle fut amenée en France après la prise de
cette ville en i 83o. C’était un animal fort doux, mais un peu triste, ou plutôt qui
ne donnait aucun signe de gaieté, comme tous les animaux d’un certain âge. Sa
taille surpassait sensiblement celle de la Panthère proprement dite, dont le type,
nous est offert par celle que M. G. Cuvier a décrite dans l’ouvrage qui a pour titre
Ménagerie du Musénm d’Histoire naturelle, et ses proportions étaient beaucoup
moins légères. Ces différences, à la rigueur, pourraient n’être attribuées qu’aux
effets de l’âge; mais ce qui ne peut être aussi sûrement attribué à cette cause, ce
sont les différences du pelage. La Panthère proprement dite a les parties principales
de son corps couvertes de taches en forme de rose, c’est-à-dire formées par la
réunion circulaire de quatre, cinq ou même six petites taches rondes, tandis que
notre vieille Panthère a des taches beaucoup plus simples, car la plupart de celles
qui sont composées chez elle ne le sont que de deux ou de trois taches plus
petites : c’est ce que les détails vont nous donner plus exactement.
Cette vieille Panthère mâle avait, du bout du museau à l’origine de la queue,
quatre pieds trois pouces ; celle-ci avait deux pieds six pouces, et la hauteur
moyenne de cet animal était de deux pieds trois pouces. Le fond de la couleur, sur
toutes les parties supérieures du corps, était d’un jaune paille légèrement isabelle,
qui prenait une teinte plus foncée dans le milieu des taches composées; toutes
les parties inférieures étaient d’un blanc pur; les taches composées comme les
taches simples étaient noires : ces dernières s’observaient exclusivement sur la tête,
le cou, les épaules, les membres, la queue; seulement, par leur réunion, elles
formaient deux rubans sous le cou et un sur le devant de la poitrine. Les taches
composées ne se voyaient que sur le dos, les flancs et la partie supérieure des
cuisses, et elles y étaient mélangées de beaucoup de taches simples; de plus, ces
taches composées ne l’étaient en grande majorité, comme nous venons de le dire,
que par deux ou trois taches plus petites, et trois ou quatre de chaque côté seulement
paraissaient l’être d’un plus grand nombre. Une description peut difficilement
donner une idée claire de ces détails et de l’effet général qui en résulte sur
un animal; mais notre dessin, qui est d’une grande fidélité, suppléera à ce qui
manque à nos paroles.
Un autre trait caractéristique de cette Panthère vieille est la grosseur de sa
tête, que ses oreilles étaient loin de dépasser, tandis que la tête de la Panthère
proprement dite était de beaucoup dépassée par les siennes. Enfin cette vieille
Panthère était remarquable par un fanon très-large qui naissait du milieu de la
mâchoire inférieure et qui s’étendait jusqu’entre les jambes de devant; or, ce caractère
n'ayant, je crois, appartenu jusqu’à présent à aucune autre Panthère, pourrait
servir à distinguer la nôtre comme espèce, et lui valoir le nom de Palearia.
Rien de ce qui a été dit par les anciens et par les modernes sur les Panthères,
ou plutôt sur les grands Chats tachetés comme le sont les Panthères des parties
septentrionales de l’Afrique, ne peut être clairement rapporté à l’animal que je
viens de décrire. A la vérité, les anciens distinguaient une grande et une petite
Panthères, Oppien nous l’apprend (de la Chasse, chant m) ; mais ils les distinguaient
en ce que celles-ci avaient une queue plus longue que les premières, ce qui ne
s’observe point sur nos animaux. El Démiri (Grande Histoire des Animaux) dit
aussi qu’on distingue par la longueur de la queue deux espèces de Nimr ou de
Panthère; mais en cela il paraît ne répéter que ce qu’il a tiré d’Oppien. Quelques
modernes ont aussi parlé de deux animaux semblables à la Panthère, l’un plus
grand, l’autre plus petit (voyage en Barbarie, par M. Poiret, t. i , p. 22a); mais il
est impossible de rien en induire de certain sur les animaux qui viennent de nous
occuper.
On pourra, dans un catalogue méthodique, dans des monographies du genre
Chat, faire une espèce distincte de l’animal que nous venons de décrire ; on a
distingué spécifiquement des animaux avec moins de raison qu’on ne le ferait pour
celui-ci; mais cette distinction ne sera véritablement utile que quand elle portera
en elle une certitude que les faits trop peu nombreux publiés jusqu’à ce jour ne
permettent point encore de lui donner.
Janvier i832.