le taureau, ne connaît guère de maître; il n’accorde qu’une obéissance douteuse, son
voisinage n’est jamais sans danger, et quand certains appétits le dominent, il s’y abandonne
avec toute la violence et l’aveuglement d’un animal sauvage.
Les essais infructueux que l’on a tentés à différentes époques pour introduire le
Renne dans nos climats, avaient fait croire à Buffon que cette espèce a besoin de la
température glacée du nord, et qu’elle ne peut vivre plus au midi de.l’Europe; et jusqu’ici,
en effet, les individus que l’on avait élevés dans des parcs, ou lâchés dans des
forêts, n’avaient pas tardé à mourir. L ’exemple de nos Rennes', qui vivent à la Ménagerie
depuis sept ans, prouve cependant que leur acclimatement chez nous n’aurait
rien d’impossible. On n’a eu recours pour les conserver à aucune précaution extraordinaire.
Ils sont réunis dans une petite fabrique, ouverte au nord-est, environnée d’un
parc assez bien ombragé ; ils y passent l’hiver et l’été. Seulement on a cherché à rendre
leur nourriture semblable à celle qu’ils trouvent dans leur patrie, et on les nourrit
presque exclusivement du lichen rangiferinus ( cladonia rangiferina) qui croît très-
abondamment dans les forêts de nos environs. On leur donne aussi un peu de pain.
Au reste, sous le rapport économique, la multiplication du Renne n’aurait pas pour
nous les avantages que quelques auteurs s’en sont promis. Nous tirons du cheval, du
boeuf et du mouton, de bien autres services que ne nous en rendrait cet animal, dont
les avantages sont en partie inséparables des pays glacés où on l’emploie ; à moins cependant
qu’on ne vînt à développer chez eux, comme on l’a fait pour le mouton, la
portion laineuse de leur pelage, qui est, au dire de Pallas, extrêmement fine et serrée.
Ce serait une inutile répétition que de reproduire ici les détails de l’histoire du Renne,
et surtoutdu Renne domestique; de rappeler ses moeurs et ses habitudes ; comment les
Lapons l’ont associé à leur misérable vie, les services qu’ils en tirent, les usages si variés
auxquels ils l’emploient. Linnoeus et-Buffon ont rassemblé sur ce sujet les notions
les plus précises et les plus détaillées. Cependant, ce qu’ils disent du Renne se rapporte
principalement à celui de Laponie, et avant la publication des ouvrages de Pallas et
du docteur Richardson5 les naturalistes connaissaient assez peu ce qui concerne
cette espèce dans les vastes contrées d’Asie et d’Amérique où elle est répandue. Aussi
me semble-t-il utile d’extraire de ces deux auteurs ce qui peut servir à compléter son
histoire.
Le Renne de Sibérie est, selon Pallas, d’une taille supérieure à celui de Laponie ;
Retzius prétend aussi les distinguer par les cornes (i) : mais on sait que les différences
tirées du nombre des andouillers ou de la forme des palmures des bois, n’ont dans
cette espèce que peu de valeur.
« L e s Rennes, dit Pallas (2) , habitent à l ’état sauvage et en troupes nombreuses tonte la Sibérie déserte, depuis la Laponie
» jusqu'aux fleuves Indigirka et Anadir. Mais nos peuples nomades de ces contrées, les Lapons, les Samoyèdes, plusieurs
» tribus Ostiaques, presque tous les Tongouses, les Joukhagires et les Tschoutskis méditerranéens, et par-dessus tout les
* Koriakes, en nourrissent de vastes troupeaux domestiques, qui constituent leurs richesses. Chaque année, dans le pays des
* Tschoutskis, on voit arriver au printemps, d'une terre arctique in conn u e, mais sans doute continue à l’Amé rique, des
’ troupes de rennes un peu différents de ceux originaires de S ib é r ie , et vraisemblablement américains. On dit aussi que,
» parmi cette chaîne d îles qui s ’étend du Kamtchatka à l ’Amérique, on trouve des rennes dans celles qui avoisinentce der-
» nier continent, tandis qu’ils manquent dans celles qui sont plus voisines de nous.......
» Les Koriakes sont les premiers d’entre tous les peuples de la S ib é r ie , pour le nombre de leurs troupeaux et pour les soins
» qu’ils en prennent. On les regarde comme les meilleurs pasteurs de rennes et les plus habiles. Quoiqu’ils 110 sachent pas
» compter au-delà de cent (cinq fois chaque paire de dix doigts), cependant ils possèdent l’étatexact de leurs troupeaux, dont
(1) Fauna itterica, pag. 4 3 . —• Variai rangifer Lapponicu* a Itossico cornubus, in hoc tummilale non patinata.
(2) Zoographia rosso Asiatica; 1 8 1 1 , t. 1 , p . 2 0 5 .
RENNES. 5
« quelques uns montent jusqu’à quarante et cinquante mille individus; ils ont mémo présente à la mémoire la généalogie de
» chaque individu, de manière à reconnaître facilement ceux q ui se sont écartés du troupeau, o u les mâles sauvages q u i, au
» temps du r u t , sont venus se mêler aux domestiques.
» Ils n’inquiètent pas d’abord ces de rnie rs, afin d ’obtenir de leur rapprochement avec les femelles une race plus vigou-
» reuke pour les traîneaux, mais ensuite ils.les tuent, e t ils remarquent avec soin les femelles qu'ils ont couvertes. Les Sa-
» moyôdes e t les autres nations qui paissent des renne s, sont également attentifs à toutes ces circonstances. Aucune n ’a
» pris l’usage de les traire.
» Les rennes entrent en ru t en septembre; ils mettent bas au p rintemps, les adultes souveut deux petits, les jeunes u n seul.
” Los faons sont déjà aptes à la reproduction dès leur seconde année, ce qui rend compte de la rapide m ultiplication de cette
» espèce.
» Parmi les faons, ceux qui sont les plus estimés e t qu'on ne trouve que chez les Koriakes et les Tschoulchis, sont blancs
’ marqués de petites taches noires. On fait de leur peau d’élégants manteaux et on vend leur chair. Ceux qui naissent tout
" noirs sont extrêmement rares, mais ils deviennent b ru n s , e t s’appauvrissent en arrivant à l’éta t adulte. Les m âles, au temps
» du r u t , sont emportés p a r une passion si aveugle, qu’ils se précipitent quelquefois su r les chasseurs recouverts d ’une peau
• blanche, les prenant pour des rennes étrangers. Us se mêlent aux troupeaux domestiques, e t on les prend au moyen de
• rennes dressés à cet effet ; on dispose aux bois de ceux-ci des lacets dans lesquels les mâles sauvages viennent, en combat-
• ta n t , enchevêtrer leurs cornes.
» Les Koriakes o nt des rennes q u e , dès l’enfance, on habitue a u jo u g , en les assujettissant au cbar au moyen d’une tra-
» verse de bois fixée su r le cou. Ces individus sont dressés à sortir du troupeau à un certain c r i , e t à se rassembler en groupe,
» de manière à permettre à leur maître de choisir ceux dont il veut faire usage. Les Koriakes excellent à atteindre, au
» moyen d ’un lac lancé de loin , les rennes qu’ils ont choisis.
» Ils tuent rarement des rennes p rivé s, les sauvages leur suffisent. Quand la chair est abondante en hiver, ils la mouillent,
• la font geler et l’ente rrent, pour l’époque du printemps où le renne est maigre. Quand ils tuent des individus domestiques,
» ils incisent le coeur à travers le diaphragme, afin de recueillir tout le san g , qui forme , cuit avec des racines, un de leurs
» mets favoris,.
» Les Samoyèdes, les Osiiakes e t les Koriakes,. attellent le renne à leurs chars ; les Tongouses seuls les montent, mais ils
» placent la selle su r les épaules, et non su r le milieu d u dos, à cause de la faiblesse de l’échine.
» Le renne ne court pas par sauts comme les cerfs, e t comme o n l’a représenté dans quelques figures, mais il va l’am b le ,
» allongeant fortement les jambes, le corps tendu, faisant de grands pas e t très-vite, de manière à parcourir l’espace très-
• rapidement; mais il se fatigue promptement e t il faut en changer souvent. Les rennes dressent la queue en courant.
» Les rennes sauvages marchent toujours en troupes très-grandes, longues, serrées ; il semble v oir de loin une forêt en
» mouvement. Dans leurs m igrations, ils passent les g rands fleuves à peu près au même lieu chaque année, e t tracent à la
» longue avec leurs pieds des sentiers q ui ressemblent à des sillons. Ils traversent ainsi l’Anadyr, l'Indigirka , la Lena,
» l’ienissec, l'Obi ; e t c’est alors que des chasseurs, portés su r des bateaux, en tuent u n grand nombre à coup de lances au
» milieu du fleuve, à moins q u e , pa r un hasard favorable, la glace encore entière ne leur serve de pont. A u printemps, ils
» émigrent en troupes distinctes ; d'abord les femelles, avec leurs faons, et peu après les mâles adultes.
» La couleur dans les rennes sauvages est toujours uniformément d ’un gris b ru u ; celle des domestiques est ou semblable
» à celle des sauvages, ou presque noire , ce qui est ra re , ou blanchâtre marquée de fauve, ou d’un blanc de neige avec
r beaucoup de petites taches noires ; c eux-ci, qui sont les plus estimés pour leur p e a u , ne se trouvent qu’à la pointe la plus
» reculée de la Sibérie. La taille du renne est plus grande vers Ochotsk que chez les K oriakes, e t plus grande chez ceux-ci que
» chez les Samoyèdes. Les femelles sont plus petites'que les mâles, e t les sauvages sont toujours d 'u n tiers ou d ’un quart
» plus grands qu’aucun individu domestique. Une femelle d u pays des Samoyèdes pesait au-de là de 200 livres. »
Il est à regretter que Pallas ne dise pas en quoi les rennes étrangers, qu’il suppose
américains, différaient des véritables rennes de Sibérie. Car ce qui reste aujourd’hui
à déterminer pour quelques auteurs, c’est l’identité d’espèce des rennes de l’ancien
continent avec ceux du nouveau. Cette question ne fait pas doute pour beaucoup
de naturalistes. Mais il serait à désirer qu’elle fut décidée par de bonnes figures et par
des observations comparatives.
On ne manque pas de bonnes figures de rennes. Mais la plupart de celles qui ont
été publiées, avaient été faites d’après des rennes de Laponie. La seule figure du renne
de Sibérie que je connaisse est celle de Schreber, qui lui a été communiquée par Pallas,
et qui représente la variété de l’Obi.
Quant au renne d’Amérique, désigné par les anciens voyageurs français sous le
nom de Caribou, on n’en possède d’autre figure d’origine certaine que celle d’AUa-
mand, dans l’histoire naturelle de Buffon, édition de Hollande, in-4°, tome i 5, pl. 3 ;
elle a été faite en Angleterre, d’après une femelle vivante envoyée du Canada. Il
faut aussi citer comme représentant le renne d’Amérique, mais peut-être une variété
ou une race distincte, la figure que donne Edwards sous le nom de Daim du Groen