d'une neutralité armée. Quelques années plus tard, Je 28 février 1780, l’Angleterre
poussant plus loin ses entreprises, la Russie ne vit de salut pour l’honneur des
peuples et celui des souverains, que dans un exposé public des maximes reconnues
par tous les peuples civilisés; elle proclama les conditions dont elle faisait dépendre
sa neutralité.
»Que les vaisseaux neutres, dit-elle, puissent naviguer librement de port en port,
»et sur les côtes des nations en guerre;
»Que les effets appartenant aux sujets des dites puissances en guerre, soient
»libres sur les vaisseaux neutres, à l’exception des marchandises de contrebande;”
»Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n’aecorde cette
»dénomination qu’à celui où il y a, par la disposition de la puissance qui l’attaque
»avec des vaisseaux arrêtés et suffisammant proches, un danger évident d’entrer.”
Telles furent textuellement les déclarations par lesquelles le cabinet de Peters-
bourg exposa les droits de tous les souverains.
L’Angleterre répond en jetant le masque, et signifie aux états généraux de la
Hollande, que le pavillon ne couvre pas la marchandise.
A dater de cette époque, elle a cru pouvoir, sans dangers comme sans obstacles,
donner l’essor à ses usurpations.
Il fallait attendre l’époque où de puissantes représailles la forceraient de revenir
à la justice.
Ce jour est arrivé: les décrets de Berlin et de Milan sont la réponse aux arrêts
du conseil. Le cabinet britannique les a , pour ainsi dire, dictés à la France.
L’Europe les reçoit pour son code, et ce code sera le palladium de la liberté
des mers.
Que l’Angleterre abjure ses fureurs; qu’elle réintégré les neutres dans leurs droits:
la justice na jamais cessé de le lui demander. Si elle nieût pas repoussé les conseils
et les offres de la modération, que de conséquences funestes elle eût évitées, et
pour nous renfermer dans le cercle de la délibération présente, elle n’aurait pas forcé
la France à s’enrichir des ports, des arsenaux de la Hollande ; l’Ems, le Wezer,
l’Elbe ne couleraient pas sous notre domination, et nous ne verrions point la
première patrie des Gaulois baignée par des eaux réunies par une navigation intérieure,
à des mers qui leur étaient inconnues.
Où sont encore les bornes du possible ? c’est à l’Angleterre à répondre. Qu’elle
médite le passé, elle apprendra l’avenir. La France et N a p o l é o n ne changeront point.
Votre commission propose, à l’unanimité, l’adoption du sénatus-consulte.
Les Sénatus-Consultes furent mis successivement en délibération et
adoptés à F unanimité.
Le Sénat délibérant ensuite sur le message de S. M. l'Empereur du 10
de ce même mois, vota une adresse en réponse, pour être présentée à
S. M. par le Président et les Secrétaires du Sénat.
Extrait des registres du sénat-conservateur, de jeudi 13 décembre 1810.
Le sénat-conservateur, réuni au nombre de membres prescrit par l’article XCde
l’acte des constitutions du 13 décembre 1799;
Délibérant sur le message de S. M. l ’E m p e r e u r e t R o i , en date du 10 de ce mois,
et dont il a été donné communication au sénat dans la séance du même jour;
Après avoir entendu le rapport de sa commission spéciale nommée dans ladite séance;
Arrête qu’en réponse au message de S. M. I. et R., l’adresse, dont la teneur suit,
sera présentée à S. M. par les président et secrétaires du sénat :
S ir e !
»La profondeur et l'étendue de vos desseins, la franchise et la générosité de votre
politique, votre sollicitude constante pour le bien de vos peuples, ne se sont jamais
plus manifestées que dans le message adressé au sénat par V. M. I. et R.”
»Les arrêts du conseil brittannique ont, non-seulement déchiré le droit public de
l’Europe; ils outragent jusqu’à ces lois naturelles, qui sont aussi anciennes et aussi
impérissables que le monde. La nature elle-même a placé les mers hors du domaine
de l’homme. Il peut les franchir, mais non les occuper, et prétendre exercer
l’empire sur l’élément qui environne de toutes parts la terre habitable, c’est aspirer
à tenir en captivité les deux mondes, et à flétrir d’une tache de servitude l’humanité
toute entière. ’
»Tel est l’attentat sacrilège contre lequel V. M. réunit tous les efforts de sa
puissance : l’Europe, justement indignée, vous applaudit et vous seconde.”
»Déjà ce gouvernement inquiet et turbulent, qui avait suscité contre la France
cinq coalitions successives, détruites en un instant par vos armes victorieuses, voit
aujourd’hui toutes les nations du continent liguées contre lui, et ses vaisseaux
repoussés de tous les ports. Il ne peut plus alimenter sa circulation intérieure que
par des valeurs mensongères, et son commerce étranger que par la fraude. Les
seuls alliés qu’il ait sur la terre sont le fanatisme et la sédition. ’
»Poursuivez, S i r e , cette guerre sacrée, entreprise pour l’honneur du nom Français
et pour l’indépendance des nations. Le terme de cette guerre sera l’époque de da
paix du monde.”
»Les mesures proposées par V. M. hâteront ce terme si désirable. Puisque vos
seuls ennemis sont sur l’Océan, il est nécessaire de vous rendre maître de toutes
les portes par où l’Océan communique avec les provinces intérieures de votre empire.”
»Au milieu de ces opérations politiques et guerrières, votre'bienfaisante sollicitude
vous a inspiré l’idée de vivifier ce commerce du Nord, qui a été si longtems pour
l’industrie française une source féconde d’encouragement et de prospérité ; les productions
du midi de Pempire se rendront, par des routes sûres et faciles, dans les
ports de la Baltique, et le lien des nations va resserrer encore les noeuds du traité
ae Tilsitt.”
»Animés par l’honneur, par l’amour et la rêconnaissance, les conscrits de 1811
viendront avec orgueil se ranger autour de vos aigles triomphantes, et s’honoreront
de payer ce glorieux tribut que tout Français doit à son Souverain et à sa patrie.”
»Le coeur paternel de V. M. laisse voir qu’il ne demande ce tribut qu’avec
regret; mais il doit se consoler par la pensée qué l’état prospère de vos finances
vous permet de ne point exiger de vos peuples de nouveaux sacrifices.”
»Le sénat, S i r e , ne fait qu’exprimer des sentimens qui sont communs à tous les
sujets de V. , quand il vous offre l’hommage de son dévouement, de son amour
et de son inébranlable fidélité.
Les président et secrétaires,
(Signé) CAMRACÉRès, prince archi-chanchelier
v de l’empire.
(Signé) C o r n e t , F. J a u c o ü r t .
Vu et scellé:
Le chancelier du sénat,
(Signé) Comte L a p l a c e .