Nos drapeaux, flottaient sur tout le territoire batave ; les partisans de l’Angleterre
fuyaient sur les vaisseaux indignement vendus par eux à l'ennemi. L’incorporation
à la France, l’association des Bataves avec leurs frères de la Belgique devait être
le premier de leurs voeux, le plus pressant de leurs besoins.
La dette publique qui n’avait pas encore pris l'immense accroissement auquel elle
est ensuite parvenue# pouvait être sauvée toute entière du naufrage; d’immenses
débouchés de commerce étaient ouverts avec la France; des charges énormes
n’auraient point pesé durant quinze ans sur ces intéressantes contrées, et pourquoi?
pour obtenir le stérile honneur d’un gouvernement prétendu national, comme s’il
existait une nation là où il n’y a point d’indépendance, d’armée, de territoire
susceptible de défense.
Les tems sont passés où les conceptions de quelques hommes d’état avaient accrédité
dans l’opinion le système des balances, des garanties, des contre-poids, de
l’équilibre politique Pompeuses illusions dés cabinets du second ordre ! Espérances
de la faiblesse qui toutes s’évanouissent devant cette puissance régulatrice de la
durée et des rapports respectifs des empires, la nécessité.
Les gouvernemens successifs de la Hollande n’auraient ils pas obéi mille fois aux
agitations intérieures, aux plus légers efforts de l’Angleterre, si la force de l’empire
français n’eût agi constamment sur eux pour les maintenir ou pour les défendre?
Et lorsque l’Angleterre faisait à la France l’injure de la croire absente, parce
que l ’E m p e r e u r méditait la victoire et la paix sur les rives du Danube, est-ce la
Hollande qui a pu repousser la flotte et les légions britanniques assemblées pour
recommencer l’oppression et la honte du Helder?
Non, sans doute; des vérités de cette évidence n’ont besoin ni de preuves, ni
d’exemple. La Hollande, comme les villes Anséatiques, restait livrée à des incertitudes,
des dangers, des révolutions, des oppressions de tout genre, si le génie
qui dispose des destinées de l’Europe, ne la couvrait de son invincible égide; l ’Emp
e r e u r a résolu dans sa sagesse de les incorporer à l’immense famille dont il
est le chef.
En adoptant cètte grande détermination, peut-être obéit-il lui-même plus qu’on
ne se permettrait de le penser, à la loi de la nécessité*
S’il commande la gloire des tems présens, les événemens qui ont précédé sa venue
commandent ceux de son règne; succession non interrompue de causes et d’effets qui
composent l’histoire des nations, et la destinée de leurs chefs. Celle de N a p o l é o n
était de régner et de vaincre: la victoire est à lui, la guerre est â son siècle.
Parmi ceux qui appartiennent à notre histoire, il nen est pas un seul durant
lequel la jalouse rivalité d’Angleterre n’ait été la cause directe de nos troubles,
de nos malheurs, de nos dangers, de notre énergie, de nos combats, de nos conquêtes.
Dans l’âge de la féodalité, l’Angleterre divisait nos princes, soudoyait nos vassaux,
ravageait nos campagnes; elle avait la prescience que le trône de ses suzerains
serait un jour le premier de l’univers; rejetée dans ses îles, partout elle a cherché
des vengeurs de sa querelle; l’Allemagne, l’Italie, les Espagnes comptent peu de
cités où l’on n’ait combattu depuis trois-cents ans pour la cause de l’Angleterre.
A l’entendre, nos Roi prétendaient à la monarchie universelle lors du siège de
la Rochelle, des travaux de Toulon, de la reddition de Courtray. Les règnes les plus
pusillanimes n’ont pu imposer silence à ses accusations, ni assoupir sa haine. A
ses yeux, le peuple français était toujours le même ; il ne lui manquait que des
circonstances et un chef pour reprendre le nom de Grand.
Une subversion totale était nécessaire au projet de l’Angleterre; elle voulait une
révolution sanglante, parce que les siennes avaient été cruelles, et qu’au milieu de
nos discordes, elle frappait du même glaive et notre industrie et nos institutions,
et les vainqueurs et les vaincus, et le peuple et la dynastie. L’Europe entière est
appelée à cette oeuvre de destruction : partout repoussée, partout menacée, tremblante
pour elle-même, elle s’arrête en présence de l’incendie allumé par les brandons du
cabinet britannique. Enfin, après dix ans d’une lutte glorieuse pour la France, le
fénie le plus extraordinaire que la nature ait formé dans sa magnificence, rassemble
ans ses mains triomphantes, les débris épars du sceptre de Charlemagne.
Les outrages de la France sont vengés; des frontières resserrées par la modération
et tracées par la nature, sont les trophées élevés au bonheur de ses peuples, à
la tranquillité de l’Europe.
L ’E a i p e r e u r propose la paix. Vain espoir d’une grande âme ! Trois fois le cri
d’alarme se fait entendre de toutes parts; trois fois la victoire n’amène que des
victoires; et la paix, toujours offerte, toujours demandée et comme poursuivie,
recule devant nos aigles jusqu’aux extrémités de l’Europe.
Dans ces chocs, dont la prudence humaine ne peut modérer les effets, les empires
du premier ordre sont ébranlés dans leurs fondemens ; les petits états disparaissent;
nous avons vu les soutiens gothiques de l’édifice européen s’écrouler d’eux-mêmes, sans
pouvoir être reconstruits sur le même plan ; et si le génie de l’ordre n’avait marché
d’un pas égal avec celui des armées, ce nétait plus la guerre, mais l'anarchie et
la mort que le dix-huitième siècle léguait à ses successeurs.
Le vainqueur aperçoit-il du haut de son char les peuples unis par des habitudes
anciennes, il leur cherche des princes fidèles, il leur crée des intérêts communs,
il leur confie les destinées de ces états régénérés dont il se déclare le protecteur.
Mais là où toutes les formes de gouvernement ont été vainement essayées, là où
les agrégations sont trop petites, ou dépourvues d’assez de principes d’adhésion
pour former des masses, là où les localités soumettraient inévitablement les hommes
et les choses à l’action directe de la cupidité, des attaques ou des intrigues des
éternels ennemis de la France, l’intérêt de l’empire commande de réunir à la nation
victorieuse ces portions de ses conquêtes, pour les soustraire à une dissolution
inévitable.
Et dans la délibération qui vous occupe, la question devrait être posée ainsi : la
Hollande et les villes Anséatiques ne pouvant exister par elles-mêmes, doivent-elles
appartenir à l’Angleterre ou à la France ?
On chercherait vainement une troisième alternative.
Cet héritage de rivalité, toujours croissante par l’importance des intérêts comme
par celle des masses, notre génération, sénateurs, l’a recueilli sans qu’il nous fut
possible d’en répudier une partie.
Ce ne sont plus deux armées qui combattent dans les plaines de Fontenoy,
c’est l’empire des mers qui résiste encore à celui du continent ; lutte mémorable,
terrible, et dont la catastrophe, peut-être prochaine, occupera longtems les races
futures. # s
Croyons en les publicistes de l’Angleterre, leurs alarmes déposent de cette vérité,
moins encore cependant que les mesures extrêmes de son gouvernement: s’il n’était
entraîné par l’imminence de son péril, aurait-il osé déchirer en présence de l’Europe
civilisée, le pacte d’honneur et de justice étemelle qui liait les puissances neutres
aux puissances belligérantes? On croirait, en lisant les actes du ministèré anglais,
qne le droit des gens n’existe plus ; et qui donc a substitué à ses principes immuables
les excès et les violences de la barbarie? l’Angleterre.
Déjà en 1756, ses premiers essais contre les droits imprescriptibles des nations
avaient contraint la Suède et le Danemarck à les défendre par le développement
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