L’Angleterre vit toutes ses espérances trompées. Venise, la Dalmatie, l’Istrie,
toutes les côtes de l’Adriatique, et celles du royaume de Naples passèrent sous la
domination française. Le corps germanique, établi sur des principes contraires à
ceux qui ont fondé l'empire français, s’écroula, et le système de la confédération
du Rhin fit des alliés intimes nécessaires des mêmes peuples qui, dans les deux
premières coalitions, avaient marché contre la France, et les unit indissolublement
à elle par des intérêts communs.
La paix d’Amiens devint alors en Angleterre l’objet des regrets de tous les hommes
d’état. Les nouvelles acquisitions de la France, que désormais on n’espérait pas de
lui ravir, rendaient plus sensible la faute qu'on avait commise, et en démontraient
toute l’étendue.
Un homme éclairé qui, pendant le court intervalle de la paix d’Amiens, était
venu à Paris et avait appris à connaître la France et V. M., parvint à la tête des
affaires en Angleterre. Gét homme de génie comprit la situation des deux pays.
Il vit qu’il n’était plus au pouvoir d’aucune puissance de faire rétrograder la France,
et que la véritable politique consistait à l’arrêter. Il sentit que, par les succès
obtenus contre la troisième coalition, la question avait été déplacée, et qu’il ne
fallait plus penser à disputer à la France des possessions qu’elle venait d’acquérir
par la victoire; mais qu’on devait, par une prompte paix, prévenir de nouveaux
agrandissemens que la continuation de la guerre rendrait inévitables. Ge ministre
ne se dissimulait aucun des avantages que la France avait recueillis de la fausse
politique de l’Angleterre ; mais il avait sous les yeux ceux qu’elle pouvait en recueillir
encore. Il croyait que l’Angleterre gagnerait beaucoup, si aucune des puissances
du continent ne perdait plus. Il mettait sa politique à désarmer la France, à faire
reconnaître la confédération du nord de l’Allemagne en opposition à la confédération
du Rhin. Il sentait que la Prusse ne pouvait être sauvée que par la paix, et que
du sort de cette puissance dépendait le système de la Saxe, de la Hesse, du Hanovre
et le sort des embouchures de l’Ems, du Jade. du Weser, de l’Elbe, de l’Oder et
de la Vistule, débouchés nécessaires au commerce anglais. En homme supérieur,
Fox ne se livra pas à des regrêts inutiles sur la rupture du traité d’Amiens, et sur
des pertes désormais irréparables; il voulut en prévenir de plus grandes, et il
envoya lord Lauderdale à Paris.
Les négociations s’entamèrent, et tout en faisait présager l’heureuse issue lorsque
Fox mourut.
Elles ne firent plus que languir. Les ministres n’étaient ni assez éclairés ni assez
de sang-froid pour sentir la nécessité de la paix. La Prusse, poussée par cet esprit
que l’Angleterre soufflait dans toute l’Europe, mit ses troupes en marcne. La garde
impériale eut ordre de partir : lord Lauderdale parut effrayé des conséquences des
nouveaux événemens qui se préparaient. Il fut question de signer le traité, d’y
comprendre la Prusse, et de reconnaître la confédération du nord de l’Allemagne.
Votre Majesté, par cet esprit de modération dont elle a donné de si fréquens
exemples à l’Europe, y consentit. Le départ de la garde impériale fut différé de
quelques jours; mais lord Lauderdale hésita. Il crut devoir envoyer un courrier à
sa cour, et ce courrier lui rapporta l’ordre de son rappelr). Peu de jours après,
la Prusse n’existait plus comme puissance prépondérante.
| La postérité marquera cette époque comme une des plus décisives de l’histoire de
l’Angleterre et de celle de la France. *
i ) Voir la négociation de lord Lauderdale.
Le traité de Tilsitt termina la quatrième , coalition.
Beux grands souverains, naguère ennemis, se réunirent pour offrir la paix à
l’Angleterre ; mais cette puissance, qui malgré tous ses pressentimens, n’avait pu se
déterminer à souscrire à des conditions qui laissaient la France dans une position
plus avantageuse que celle où elle s’était trouvée après le traité d’Amiens, ne voulut
point ouvrir des négociations dont le résultat inévitable assurait à la France une
position bien plus avantageuse encore t). Nous avons refusé, disait-on en Angleterre,
un traité qui maintenait dans l'indépendance de la France le nord de l’Allemagne,
la Prusse, la Saxe, la Hesse, le Hanovre, et qui garantissait tous les débouches de
notre commerce; comment pourrions-nous consentir aujourd’hui à signer avec
l ’e m p e r e ü r d e s F r a n ç a is , lorsqu’il vient d’étendre la confédération du Rhin jusqu’au
nord de l’Allemagne, et de ionder sur les bords de l’Elbe un trône français, une
{>aix qui, par la force des choses et quelles que fussent les stipulations admises,
aïsserait sous son influence le Hanovre et tous les débouchés du Nord, ces principales
artères de notre commerce?
Les hommes qui envisageaient de sang-froid la situation de l’Angleterre, repondaient:
deux coalitions dont chacune devait durer dix ans, ont été vaincues en peu
de mois; les nouveaux avantages acquis par la France sont la suite de ces évene-
mens, et l’Angleterre ne peut plus s’y opposer: sans doute il n’aurait pas fallu
violer le traité d’Amiens. Il eut fallu depuis adhérer à la politique de Fox¿ Profitons
du moins aujourd’hui des leçons de l’expérience, et évitons une troisième
faute. Au lieu de jeter les regards en arrière, portons les vers l’avenir: la péninsule
est encore entière et dirigée par des gouvernemens secrètement ennemis de la
France. Jusqu’à ce jour, la faiblesse des ministres espagnols et les sentimens
personnels du vieux monarque ont retenu l’Espagne dans le système de la France.
Un nouveau règne développera les germes de la haine entre les deux nations. Le
pacte de famille a été anéanti, et c est un des avantages que la révolution a pror
curés à l’Angleterre. La Hollande, quoique gouvernée par un prince français, jouit
de son indépendance : son intérêt est de demeurer l’intermédiaire de notre commerce
avec le continent, et de le favoriser pour participer à nos profits. N’avons-nous pas
à craindre, si la guerre continue que la France n’établisse son influence sur la
Péninsule et ses douanes en Hollande ?
Tel était le langage des hommes qui savaient pénétrer dans les secrets de l’avenir.
Ils virent avec douleur refuser la paix proposée par la Russie. Rs ne doutèrent
pas que le continent tout entier ne fût bientôt enlevé à l’Angleterre, et qu’un
ordre de choses , qu’il était si important de prévenir, ne s’établît en Espagne et
en Hollande.
Sur ces entrefaites l’Angleterre exigea de la maison de Bragance qu’elle quittât
la Péninsule et se réfugiât au Brésil. Les partisans du ministère anglais semèrent
la division parmi les princes de la maison d’Espagne. La dynastie qui régnait fut
éloignée pour toujours, et en conséquence des dispositions faites à Bayonne, un
nouveau souverain, ayant avec la France une puissance et une origine communes,
fut appelé au gouvernement de l'Espagne.
L’entrevue d’Erfurth donna lieu à de nouvelles propositions de paix ; mais elles
furent aussi repoussées 2). Le même esprit qui avait fait rompre les négociations
du lord Lauderdale, dirigeait les affaires en Angleterre.
]) Yoir les pièces de la négociation après la paix de Tilsitt.
2) Voir -les pièces de la négociation après l’entrevue d’Erfurt.