Sur ces entrefaites, la paix de Tilsitt eut lieu ; l’empereur de Russie, provoqué
par les outrages que l’Angleterre avait faits à son pavillon pendant qu’il combattait
pour elle, et indigné de l’horrible attentat de Copenhague, lit cause commune
avec la France.
La France espéra alors que l’Angleterre verrait désormais l’inutilité d’une plus
longue lutte, et qu’elle entendrait à des paroles d’accommodement; mais ces espérances
s’évanouirent bientôt. En même temps qu’elles s’évanouissaient, l’Angleterre,
comme si l’expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur, et eut brisé
tous les freins, mettait ses projets à découvert, et publiait ses ordres du conseil
de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire qui a indigné l’Europe. Par cet
acte, l’Angleterre réglait ce que pourraient transporter les bâtimens des nations
étrangères , leur imposait l’obligation de relâcher dans ses ports avant de se rendre
à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt. Ainsi elle se rendait
maîtresse de la navigation universelle, ne reconnaissant plus aucune-nation maritime
comme indépendante; rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait
à ses lois, ne leur permettant de commercer que pour son profit; fondait ses
revenus sur l’industrie des nations, sur le produit de leur territoire, et se déclarait
la souveraine de l’Océan, dont elle disposait comme chaque gouvernement
dispose des rivières qui coulent dans l’intérieur de ses Etats. A l’aspect de cette
législation, qui n’était autre chose que la proclamation de la souveraineté universelle,
et qui étendait sur tout le globe la juridiction du parlement britanniaué,
l’empereur sentit qu’il était obligé de prendre un parti extrême, et qu’il fallait
tout employer, plutôt que de laisser le monde se courber sous le joug qui lui
était impose. Il rendit son décret de Milan, qui déclare dénationalisés les bâtimens
qui ont payé le tribut imposé par l’Angleterre. Les Américains, menacés de se
trouver de nouveau soumis au joug de 1 Angleterre, et de perdre letir indépendance
si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur tous leurs bâtimens, et
renoncèrent à toute navigation et à tout commerce, sacrifiant ainsi l’intérêt du moment
à ce qui est l’intérêt de tous les temps, la conservation de leur indépendance.
Le succès de ces grandes mesures dépendait surtout de leur exécution en
Hollande. La Hollande au contraire v met un obstacle; elle a continué à faire le
commerce avec l'Angleterre. Toutes lés représentations de la France sur ce sujet
ont été inutiles. S. M. I. a été forcée de recourir à des mesures de rigueur qui
attestaient son mécontentement. Deux fois les douanes françaises ont été fermées
au commerce hollandais. Elles le sont dans ce moment, de manière que la
Hollande n’a plus aucune communication légale avec les peuples du continent; et
l’empereur est résolu à ne point rouvrir ces barrières, tant que les circonstances
n’auront pas changé; en effet, ce serait les ouvrir au commerce anglais. La nation
hollandaise, loin d’imiter le patriotisme des Américains, n’a paru guidée dans
toutes ces circonstances que par de misérables intérêts mercantiles.
D’un autre côté, l’empereur voit la Hollande sans moyen de guerre, et presque
sans ressources pour sa propre défense; elle est sans marine;les seize vaisseaux
qu’elle devait, ont été désarmés; elle est sans énergie. Lors de la dernière expédition
des Anglais, la place importante de Veere, qui n’était ni approvisionnée, ni
armée n’a opposé aucune résistance, et le poste important de Bath, dont pouvait
dépendre le succès de tant d’événemens, a été évacué six heures avant 1 arrivée
des coureurs de l’ennemi. Sans armée, sans douanes, on pourrait presque dire
sans amis et sans alliés, les Hollandais sont une réunion de commercans uniquement
animés par l’intérêt de leur commerce, et formant une riche, utile et respectable
compagnie, mais non une nation.
S. M. I. désire la paix avec l’Angleterre. Elle a fait à Tilsitt des démarches pour
y parvenir; elles ont été sans résultat; celles qu’elle avait concertées à Erfurt avec
son allié l’empereur de Russie n’ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc
longue,, puisque toutes les démarches pour arriver à la paix ont été inutiles. La
proposition même d’envoyer des commissaires à Morlaix pour y traiter de l’échange
des prisonniers, quoique provoquée par l’Angleterre, est restée sans effet, lorsqu’on
a craint qu’elle pût amener un rapprochement. L’Angleterre, en s’arrogeant,
par ses ordres de novembre 1807, la souveraineté universelle, et en adoptant le
principe d’une guerre perpétuelle, a tout brisé, et rendu légitimes tous les moyens
de repousser ses prétentions. Si donc le changement qui a eu lieu dernièrement
dans le ministère anglais n’en produit aucun dans les principes de l’Angleterre,
ce qu’il sera facile de constater par les discours qui seront tenus au nouveau parlement
, et si elle continue à proclamer le principe de la guerre perpétuelle et de
la souveraineté universelle, en maintenant ses ordres du conseil, dans ce cas le
soussigné est chargé de déclarer au ministère et à la nation hollandaise que la
situation actuelle de la Hollande est incompatible avec les circonstances où les
nouveaux principes adoptés par l’Angleterre ont mis les affaires de l’empire et du
continent; en conséquence S. M. I. se propose:
1°. De rappeler auprès d’elle le prince de son sang qu’elle a placé sur le trône
de Hollande. Le premier devoir d’un prince français placé dans la ligne de l’hérédité
du trône impérial est envers ce trône. Tous les autres devoirs doivent se
taire quand ils sont en opposition avec celui-là; les premiers devoirs de tout
Français, dans quelque circonstance que la destinée l’ait placé, sont envers sa patrie;
2°. De faire occuper tous les débouchés de la Hollande, et tous ses ports par les
troupes françaises, ainsi qu’ils l’ont été depuis la conquête faite par la France en 1794.
jusqu’au moment où S. M. I. espéra tout concilier en élevant le trône de Hollande,
5°. D’employer tous les moyens, et sans être arêté par aucune considération,
pour faire rentrer la Hollande dans le système du continent, et pour .arracher
définitivement ses ports et ses côtes à l’administration qui a rendu les ports de la
Hollande lés principaux entrepôts, et la plupart des négoçians hollandais les faqteurs
et les agens au commerce de l’Angleterre.
Paris, le 24 janvier 1810. (Signé) pue de Cadore.
Au mois de janvier 1810, le Roi, qui était alors à Paris, écrivit à ses
ministres que, s’il avait pu effacer quelques impressions défavorables,
ou du moins les modifier, il n’avait pu concilier dans l’esprit de l’Empereur,
l’existence et l’indépendance du Royaume de Hollande, avec la
réussite et le succès du système continental, et en particulier de la
France contre l’Angleterre; qu’il s’était assuré que la France était
fermement décidée à réunir la Hollande, malgré toutes les considérations,
et qu’elle était convaincue que son indépendance ne pouvait plusse pro -
longer, si la guerre maritime continuait ; que dans cette cruelle certitude,
il ne leur restait plus qu’un espoir, celui de négocier la paix maritime
avec l’Angleterre; que cela seul pourrait détourner le péril éminent qui
menaçait la Hollande, qu’aucun sacrifice ne pourrait prévenir.