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le navire continue fa route. Ce docte cénobite croit
qu’un bâtiment qui fait une pareille manoeuvre ne
peut être que François. Là-deffus fa bile s’enflamme ,
fort amour pour le bienpublic £3? pour celui defa patrie lui
diète une diatribe violente contre une marine qu’il
devroit rèfpeéter; mais dans quelle réglé ce moine
a-t-il vu que y par amour pour la patrie, il falloir dire
en idiome patagon que la liberté des rouges (fl)faifoit
la fervitude de s bleus, que la marine royale a de s préjugé
s qui P élèvent au-dejfus du m é t i e r des m a r i n s , & croit
cju'il n'efl plus befoin de l'exercer pour l'apprendre, &c ?
Si cet écrivailleur avoit lu les ordonnances de la marine,
il fauroit qu’il y a des écoles établies pour l’inltruétion
des jeunes gehs ; s’il avoit été dans les ports du Ro i,
il aurait vu que les officiers s’y appliquent à la théorie,
& qu’ils cherchent avec empreffement les occa-
fions d’y joindre la pratique; s’il s’étoit donné la
peine de faire quelques informations, il auroit appris
que, pour être reçu capitaine marchand, il faut avoir
fait deux c a m p a g n e s fur le s vaiffeaux du R o i, & avoir
rapporté des certificats favorables des commandans;
ce qui fuppofe qu’on ne peut prendre que fur ces
vaiffeaux une parfaite connoiffance de la fubordina-
tion & du fervice de mer, & que.les officiers de la
marine font les véritables juges des officiers marchands
; s’il avoit navigué fur des bâtimens comman-
(a) C’ell ainiî qu’il appelle les officiers de la marine du Itoi.
dés par de -vrais-officiers du Roi,- il n’eût pas dit que
tout navire de la nation eft obligé d'amener, quand un
navire du Roi hiifignifie de ce fa ir e , par un coup de canon
£5?par la flamme virée au mat où elle doit être ,fui-
vant le grade de celui qui commandé le vaijfeau du Roi, il
eût fu que la flamme fe hiflè & ne fe vire pas (fl), & qu’u n
navire marchand n’efl: point obligé d’amener (b) quand
il.rencontre un vaiffieau de guerre de fa nation, mais
de fe. ranger fous fon pavillon pour recevoir les or- ■
dres du commandant. S’il avait vécu dans un port, -
il auroit appris peut-être la langue d’un métier qu’i l :
faut, favoir avaînt que d’en donner des leçons. Il auroit
vu quel refpect on a pour la mémoire des Barts,
des Duguai Trouins, des CalTards : tous ces-grands
jhommes avoient des titres pour entrer dans la marine
du Roi; ils avoient rendu des combats fameux; ils'
avoient fait des manoeuvres brillantes; ils avoient'
pris des vaiffeaux de guerre ennemis ; qu’on fe préfente
après des actions lî éclatantes , & l’on fera'
certainement. reçu avec autant d’empreffement que
de diftinélion. Quoique les officiers de la marine
royale foient au-deffus de ces traits'injurieux aui
n’ont aucun effet lorfqu’ils font lancés par des mains
aufli foibles que .celles du voyageur aux ifles Ma-
(a) Le mot virer "emporte l’Idée d’un mouvement circulaire,' comme,
par exemple, autour d’un cabeftan.
Q>) Le mot amener, quand il ell fcul, lignifie fe rendre à l’ennemi.