ç& R E L A T I O N D’U N V O Y A G E
avoient eu là hardieiïe de prendre, avoient commis
tant d’excès dans cette ville pendant la. derniere
guerre, que le grand baillif craignant quôn ne nous-
infultât, fit publier que nous .étions de vrais officiers
de Roi , 6e qu’il falloit avoir de? égards pour nous.
Notre façon d’agir & notre difeipline firent voir qui
nous étions. Un matelot de mon bord ayant pris une
cuilliere d’argent dans une auberge étant ivre,je lui
fis donner trois jours de fuite la cale; & fi toutes les
dames niflemblées à un g r a n d fouper chez Madame
Defcheel ne m’a voient demandé fa grâce, la punition
auroit été plus longue. Je donnai à dîner à
mon bord à Madame Defcheel & à toutes les femmes
diftinguées , à l’état-major de la place, aux
officiers de la garnifon, & à tous les notables. Le
dîner qui fut fuivi d’un bal, répandit la gaieté dans
tous les quartiers de la ville, où l’on but au bruit du
canon de la frégate à la fanté des Rois de France 6s
de Dannemarck; mais malgré cela, le peuple avoit
bien de la-peine à oublier-qu’un, François , capitaine
de brûlot, ou qui fe difoit tel, avoit menacé de can
n e r la citadelle, fur le refus de quelque demande ira-
diferete , 6s qu’on avoit plus d’une fois infulté des
perfonnes du fexe. ■ - ' , .
Je ne puis m’empêcher de faire ici une réflexion
fur la haute idée que le public conçoit de certains im-
trigans, dont tout le mérite confifte à dire beaucoup
de bien d’eux-mêmes, qui propofent les plus grandes
■ entréprifës , parce qu’ils ne fifqueht que de retomber
dans le néant d’où ils veulent fortir, 6c que nous
voyons tous les jours échouer avec ignominie, quoi-
qu’appuyés d’une cabale ignorante 6c prévenue, contre
là marine royale. Les preuves: de cette aveugle
prévention ne font que trop répandues; on trouve
jufques dans le dictionnaire de l’Encyclopédie au mot
m a r i n e des abfurdités indécentes. On y lit l’extrait
d’un ouvrage m û t a l i .R é f l è x i o n s d ’u n c i t o y e n f u r la m a r
in e . Cet ouvrage éft fait par un officier, marchand de
Dieppe. La qualité de cet écrivain annonce qu’il va
dénigrer les officiers du roi. Il dit, „ le gentilhomme
„ marin ne s’honore pas de fon état,il dédaigne l’art
3, du matelot ’rÇfc. Je rendrai cependant juftice à la
folidité de fes réflexions lorfqù’il parle de la guerre 6c
des arméniens : „ Le capitaine, dit-il, doit être en-
3 tieremènt maître de l’armement de fon bâtiment,
Pour faire la guerre aux Anglois, il faut atta-
„ quer leur commerce, fe contenter de couvrir lès
„ poffeffions ; c’eft précifémerit jouer avec le hafard
„ de perdre fans avoir jamais celui de gagner : c’eft
5, au commerce anglois feul qu’il faut faire la guerre;
„ point de paix folide avec ce peuple fans cette poli-
„ tique ; que l’idée d’une guerre avec nous faffe trem-
„ bler le commerce d’Angleterre, voilà le point im-
„ portant. L’ennemi a fait dans la guerre de 1744
„ des affûrances confidérables, fur nos vaiffeaux mar-
„ chands;dans celle-ci peu, 6c à des primes très-oné-
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