^ L E T Í G R E.
inarclie ni tlans sa course orditiiiire, une promptiiiule inconipauble avec la brièvcié
ele ses jambes. Elle doit un¡c[ucmenl désigner la célérité prodigieuse avec la<[uclle
¡I s'élance sur sa proie, el les bunds inatiendus par lesquels parlant comme l'éclair,
francliissani plusiem-s mètres, et perlant des coups d'autanl [¡lus sûrs, que la vivacité
du soleil des tropiques, la cbaleui' du sol qu'il liabite, la sensibilité de sa réline, et
la contexture de son iris, lui font préférer les ténèbres pour la chasse de sa proie,
il frappe, renverse, brise, cl détruit comme la foudre.
Fallait-il qu'à une impéiuosilé imprévue, à une fureur inévitable, à des
embuebes perfides, a des annes funestes, à une vigueur extraordinaire, ce terrible
animal réunît une organisation iniérieure qui exigeant l'aliment le plus réparateur,
le force h s'enlom-er de cada^Tes , le contraint , dans sa rage constante, à ne
suspendre la destruction que lorsque les victimes lui manquent, l'enivTC de carnage,
ei lui montre dans lout être vivant, dans ses petits, dans sa femelle même, luic
])roie qu'il dévore de ses regards cnQammés, à laquelle il présente tnie mort
soudaine par ses giñncements de dents, qu'il épouvante par son rugissement
affreux, et dont il entrouvre en frémissant de férocité les flancs liorriblement
décliirés, pour clterclier dans ses lambeaux encore palpitants tout le sang dont
il est altéré?
Ne craignant ni le fer ni le feu, el le plus dangereux des Manmaifères, il est
le fléau de l'Afrique iniérieure, des gi'andes Indes et de la Chine. Il en infeste
les bois loLiff'us qui lui servent de repaire. Il s'y avance vers les fleuves dont ses
griffes cruelles ensanglantent les rives, et dont l'eau lui est souvent nécessaire
pour élancher l'ardeur dévorante qui le consume.
Il se montrait encore, il y a peu d'années, dans les forêts du Japon, comme
pour y atlesicr l'ancicnnc communication de ces îles avec le Continent de l'Asie.
Dans lous ces lieux funestes, le voyageur pâlit en entendant releniir de loin,
au milieu d'une vaste solitude et de l'obscurité d'une nuit profonde, les cris affreux
<jue la rage impuissante arrache à la Tigresse privée de ses pelils par une audace
téméraire.
Telle est l'espèce du ïigi-e. CuiFou l'a peinte avec des couleurs impérissables.
L'image de l'espèce se compose des traits des individus 5 mais pour que cette
image soit ressemblante, il faut que ces individus soient libres el parvenus à leiuentier
développement. Nous avons h parler un moment d'un Tigre mâle et d'un
Tigre femelle qui vivent dans la ménagerie du Muséum national d'histoire naturelle;
mais ces deux Tigres sont jeunes et captifs. Nous ne cherclierons donc pas à faire un
nouveau portrait de l'espèce. Nous avons di\ avoir un autre dessein. Nous voulons
montrer, non pas les formes constantes de l'espèce du Tigi-e, mais les accroissements
qui se succèdent poin- les produire; non pas les habitudes de cet animal, maïs ce
qu'elles peiu'enl devenir par la crainte; non pas ses propriétés permanentes, mais
la profondeur des inqjressions qu'il peut recevoir. Nous voulons voir ce <jui n'est
pas encore développé, pour mieux mesurer ce qui l'est ; ce fjui est altéré, pour
mieux distinguer ce qui ne l'est pas; les effets du pouvoir <]ui accroît, pour mieux
juger <in pouvoir qui conseiTC ; les efforls de la nature enchaînée, pour mieux
connaître la for(!e de la nature indépendante.
M
L E T I G R E. 5
Vers le commencement de l'an 8 de l'ère française, le cil. Delaunay, bibliothécaire
en second du Muséum d'Histoire naturelle, fut prié, jiar l'administration de cet
établissement, d'acheter à ï^ondres le Tigre et la Tigi-esse que l'on voit aujourd'hui
dans la Ménagerie nationale.
Ces deux Tigi'es appartenaient à M. Pidcock, propriétaire d'un grand nombre
d'animaux curieux ou utiles. Ils étaient encoi'e jeunes, quoique M. Pidcock les ei^it
acquis, deux ans auparavant, d'un capitaine marchand qui revenait de l'Inde sur
un des bAtiments de la Compagnie anglaise. Ils arrivèrent à Paris, le 19 brumaire
an 8.
Le mâle s'était accouplé à Londres avec une autre femelle que celle qui partage
maintenant sa captivité. Leur union avait été féconde. Mais au lieu de donner le
jour à quatre ou cinq petits, ainsi que plusieurs naturalistes, ei particulièrement
Bufibn, l'ont dit de la Tigresse qui vit dans l'état de nature, et dans le climat le
plus analogue à son tempérament, la femelle de Londres ne mit bas qu'un pelit
<|ui ne vécut que huit ou dix jours.
On a assuré au cit. Félix Cassai, l'un des gardiens des animaux du Muséiun de
Paris, qu'elle l'avait porté pendant trois mois et demi, ou à-peu-près, temps
ordinaire de la geslation de la Lionne. Quoi i|u'il en soit, le cit. Delaunay examina
avec attention ce Tigre nouveau-né. 11 remarqua (¡ne ses couleurs ne tliifcraicnl de
celles de ses père et mère, (jue par quelques nuances. Le blanc; était mélé de gi-is,
le noir de brun , et le jaiuie d'une teinte un peu obscure. Ce très-jeune Tigre
paraissait plus petit de la moitié qu'un chat; il était très-bas sur ses ]iattes, el sa
tète, très-grosse à proportion de son corps, augiiieniaii l'apparence de lourdeur
que lui donnaient ses différentes dimensions.
Quelque temps après l'arrivée à Paris du Tigre mâle et du Tigi'e femelle que
l'on notUTÏt dans la Ménagerie, le cit. Félix Cassai se donna beaucoiqi de soins
pour porter ces deux individus à s'accoupler l'un avec l'autre. La loge du mâle ne
fut séparée de celle de la femelle, que par une grille qui leur permettait de se voir.
Au bout de huit jours, il crut s'appercevoir par l'agitation du mâle, par ses
mouvements, par la vivacité avec lac|uelle il faisait passer ses pâlies au travers des
barreaux qui le retenaient, que le moment était venu tie les laisser se réunir. II
supprima tout d'un coup la bai-rière. A l'instant le mâle se précipitant sur la
Tigresse, s'abandonna au feu qu'elle avait allumé; mais au lieu de partager son
ardeur, elle le combattit avec tant de force et d'acharnement, que le ch. Félix
Cassai fui obligé de les arracher l'un à l'autre.
Il n'y parvint qu'avc(; une très-grande peine; il courut un grand danger; il
craignit même de voir péi-ir le mâle qui, uniquement occupé de l'objet de ses
désirs violents, souiTrait, sans se défendre, les cruelles morsures de sa femelle.
La Tigresse, néaimioins, paraît ordinairement un peu moins féroce que le màlc,
un peu plus susceptible d'éprouver quelque crainte; mais la captivité leur est
insupportable. On voit quchjuefois le Lion et la Lionne oublier leui's fers, l'un
auprès de l'autre, s'abandonner à leur bien-être, se livrer à une gaîté folâtre, jouer,
se rouler et bondir. Le Tigre et sa femelle, isolés, ti'istes, ayant l'air de méditer
sans cesse le carnage ou leur évasion, presque immobiles sur leurs pieds, ou couchés