2 LE LION.
iiifiuiment plus grand du temps des anciens qu'il ne l'est de nos jours. On a peine à
s'iina^iner coimnenl les Romains se procuraient la quanlilé prodigieuse de ces animaux
qu'ils faisaient de temps en temps paraître dans leurs jeux; Pline nous a conservé à ce
sujet des détails qui surpassent presque toute a'oyance. « Qiiinlm Scevola, dit-il, fut
» le premier qui en montra plusicms à la fois dans le cirque, lorsqu'il fut EdileiSylla,
j) pendant sa p réture, en fit combattre cent à la fois, tous mâles; Pompée ensuite, six
» cents, dont trois cent quinz-e m:()es,et César quatre cents. » Sénèque nous apprend,
il est vrai, que ceux de S} lia lui avaient été envoyés par le roi de Mauritanie, Bocclius;
inais aujourd'hui les princes du même pays croyent faire un grand présent lorsqu'ils
peuvent donner un ou deux de ces animaux. La même abondance continua pendant
quelque temps souslesempereurs^mais il paraît (ju'ellc commença à diminuer vers le
second siècle, puisqu'Eutropc regardait déjà comme une grande magnificence de la
part de Marc-Aurcle d'avoir fait paraître cent Lions à la fois lorsqu'il trionq)jia des
Marcomans. On fut obligé de défendre la chasse des Lions aux particuliers, de crainte
d'en voir manquer le cirque; mais cette loi ayant été abrogée sous Honorius, la destruction
continua, et venant à être aidée du secours des armes à feu, elle a réduit enfin
ces animaux à se retirer dans les déserts où ils sont confinés aujourd'hui.
Ce grand nombre de Lions donna lieu à en apprivoiser beaucoup, et à pousser leur
éducation à un point qui peut encore nous étonner, quoique nous ayons vu de nos
jours des Lions très-privés. Hannon, Carthaginois, fut le premier qui dompta un
Lion, et ses concitoyens le condamnèrent à mor t , disant que la république avait tout
à craindre de celui qui avail su vaincre tant de férocité; un peu plus d'expérience leur
eût appris qu'il n'est pas nécessaire de museler des Lions pour parvenir à enchaîner
des hommes. Le triumvir Antoine se fit traîner publiquement par des Liens, ayant
auprès de lui, sur son cliar, la comédienne Cvthéride, excès prodigieux, dit Pline,
et plus déplorable (jue toutes les horrem-s de ce temps funeke.
Il n'est point étonnant que, vivant aussi rapprochés de ces animaux, les anciens les
ayent mieiLx connus que nous à certains égards; aussi plusieurs faits qui nous ont
siu'pris dans ces derniers temps ne leur avaient point échappé ; telle est la facilité avec
la(|uelle le Lion s'attache aux compagnons de sa captivité, même lorsqu'ils sont tl'une
espèce différente. Élien parle, d'après Eudémus, d'une amitié enfie un Lion et un
Chien, fort semblable à celle dont tout Paris a été témoin dans cette ménagerie, et dont
M.Toscan a donné l'intéressante histoire. I)n Lion, dit-il, un Chien et unOui's vivaient
ensemble dans l'union la plus intime, chez ini homme ((ui apprivoisait des auimaux ;
les deiLK premierssurloutavaient l'un pour l'autre l'atlachemenl le plus tendre; mais
le Chien ayani blessé l'Ours en jouant , celui-ci reprit subitement son naturel féroce et
déchira son faible compagnon ; le Lion, irrite, se liàta de venger son ami , et fil périr
l'Ours absolument par des blessures semblables à celles »[u'avail reçues le Chien.
Les anciens n'ont pas ignoré noji plus les circonstances de la naissance du Lion.
Plutarque dit expressément que la Lionne est le seul carnassier dont les petits viènent
au monde les yeux ouverts, et Elien nous apprend (¡ue Démo<Tite avail <lil la môme
chose long-temps avant PIniarfjue. Ils ont connu, dans l'espèce du Lion, des variétés
que nous n'avons pas vues dans les temps modernes, et (l'autres qui n'ont été retrou-
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vées que tout réceimnent; dans ce dernier ordre est le Lion sans crinière, dont parlent
Solin et Oppien, et dont ils attribuaient mal à propos l'origine à l'accouplement de la
Lionne et du Léopard. M. Olivier s'est assuré, dans son voyage de Perse, qu'il existe
réellement une telle race aux environs de Bagdat. Les anciens ont aussi parle de Lions
noirs. Ceux des Indes étaient de cette couleur, selon Élien; ceux de Syrie selon Pline;
ceux d'Ethiopie selon Oppien ; il nous paraît qu'il y a dans tous les pays des Lions
beaucoup plus bruns les uns que les autres, et dont plusieurs peuvent tirer sur le
noirâtre. Celui que notre planche repré-jente est beaucoup plus brun, et a les poils
du dessous de son corps plus noirs que celui qui l'a précédé dans cette ménagerie.
Il est très-probable d'après cela qu'il a existé ou qu'il existe encore des Lions à
crinière crépue, (juoique les modernes n'en ayent point observés. Les anciens paraissent
même avoir vu cette race plus fré(|uemmeut que l'autre, puisque c'est elle
qu'ils ont représentée de préférence dans leurs statues et dans leurs bas-reliefs; aussi
disent-ils que c'était la plus Idche des deux et la plus facile à vaincre. Sans cette circonstance
positive, on pourrait croire, avec un de nos plus célèbres antiquaires,
que ces Lions crépus étaient précisément ceux de la Thrace, qui sont aujourd'hui détruits;
mais cette opinion serait contraire à ce que Pline assure, que ces Lions de
ï h r a c e étaient beaucoup plus forts que ceux d'Égypte et de Syrie. Nous ne révoquerons
pas non plus entièrement en doute d'autres assertions opposées en apparence
à ce que nous savons des animaux cai-nassiers en général, mais qui peuvent cependant
avoir quelque fondement réel, et ne s'écarter du vrai que par quelque exagération, et
siu'tout parce qu'on aura cherché des motifs relevés à des actions fort simples : là se
rapportent tous les récits qu'on nous fait de la générosité du Lion, de ses égards pour
la faiblesse, et surtout de sa mémoire et de sa reconnaissance ; il n'attaque point lorsqu'il
est rassasié et que la cçainle ne le force pas à se défendre ; de là son prétendu
respect pour le sexe et pour l'enfance, rapporté par Pliiie et confirmé dans ces derniers
temps par Misson : quelque Lion apprivoisé, échappé et repris, aura reconnu son
ancien maître au moment où on voulait le lui faire déchirer, ou bien s'étant arrêté par
une cause quelconque en face du criminel qu'on lui livrait, celui<i aura espéré obtenir
sa grace, en donnant de cet accident quelque raison romanestpae; de là l'histoire
si connue d'Androclès etc.
Il reste encore de nos jours plusiem-s points douteux dans l'histoire du Lion ; tel est
le goût de sa chair, que Bullbn et d'autres disent êti'c désagréable et fort, et que le
docteur Sliaw assure, dans son voyage en Barbarie, ressembler à celle du Veau; c'est
cette dernière comparaison qui est la vraie, ainsi que s'en est assui-é un homme trèsbizarre
, (|ui a mangé de tous les animaux de celte ménagerie, et dont un savant natuvaliste
avait fait espérer de publier bientôt les observations.
On n'esl pas non plus d'accord sur l'âge auquel le Lion peut atteindre rBuffon raisonnant
d'après le ienqis([u'il lui làui pour prendre son accroissement complet, avait
j,ugc (|UC cet animal devait aller au ])his à vingt-cinq ans; mais M. G. Shaw, auteur
dune nouvelle zoologie écrite en anglais, rapporte des exemples de Lions que l'on
prétend avoir vécu à la lourde Londres, l'un soixante-trois et l'autre soixante-dix ans.
Si ces faits sont vrais, ils sontau moins fort extraordinaires.