tienne un rang fixe, ou plutôt le peu de relations
qu’elles entretiennent ensemble empêche de se manifester
la considération extérieure qui est due à
chacune. Malgré ces formes polies dont nous venons
de parler, il n ’y a, pour ainsi d ire , de subordination
bien réelle que dans la famille, dont le chef
se considère non-seulement comme le maître de ses
serviteurs, mais comme leur père, et s’arroge les droits
inhérents à cette autorité. Cette domesticité constitue
le fond essentiel de la société abyssine; elle n ’a
rien de comparable à ce qu’elle est en Europe; en
révélant plus de servilité, elle détermine conséquem-
ment des liens plus étroits. Un laboureur, un fermier
n ’occupe pas d’autres laboureurs; il n ’a que des
domestiques et les traite comme tels; un ouvrier,
assez riche pour en prendre d ’autres à ses gages, ne
les reçoit pour ainsi dire qu’à titre de serviteurs; le
métier des armes même est empreint d’un caractère
analogue, car on rie trouve pas dans les troupes abyssines
cette hiérarchie des grades qui place chaque
soldat sous un chef immédiat, le seul duquel il relève
directement : avant de faire partie intégrante
d ’une armée, le soldat est un homme d’armes attaché
à la fortune de son maître; comme te l, il n ’a pas de
solde ; il vit de libéralités ou des hasards de la guerre,
et quand la guerre est finie, il retourne au foyer du
maître. Cependant il est d’autres soldats enrôlés volontaires
qui témoignent la plus grande indépendance et
q u i, sauf la différence des m oe u rs, reproduisent assez
bien la figure des condottieri du moyen âge.
Ces moeurs sont tout à fait féodales, et quoique le
principe en ait reçu une rude atteinte dans les révolutions
politiques du p ay s, elles ne cesseront sans doute
de longtemps de vivre chez les Abyssins : ces moeurs,
si elles rattachent tous les membres de la société par le
noeud serré de la dépendance au foyer, favorisent une
certaine liberté d’allures et d’opinions que les mille
relations créées par les sociétés moderties ne peuvent
tolérer.