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dans tous les autres pays du monde, que p a rla tolérance
qui est là le fruit du relâchement général des moeurs.
Comme celles d’Espagne et d’Italie, elles allient une
grande dévotion aux excès les plus honteux ; le vol et
l’ivrognerie n ’ont rien qui les effraye, et pour tout au
monde elles ne voudraient manquer aux prescriptions
de l’Église pendant les jours de jeûne et le carême.
Civilité des Abyssins. — Les Abyssins montrent dans
leurs relations une politesse, une u rbanité, un respect
pour l’étiquette, qui forme, avec certains usages barbares
deleur société actuelle, des disparates choquantes.
On en jugera par les détails suivants .
Deux Abyssins ne s’abordent jamais sans se saluer.
S’ils sont égaux en r a n g , ils se demandent mutuellement
: comment vous portez-vous? Un supérieur à son
inférieur : comment te portes-tu? L’inférieur: comment
se porte-t-il? Le comble du respect est de dire au pluriel
: comment se portent-ils? Dans les v is ite s , les
formules sont les mêmes; toujours, d a ille ü rs , au
salut de la parole se joint celui du g este, qui consiste,
entre égaux, à rabattre l’un et l’autre le coin de la
toge jetée sur l’épaule, et de la part de l’inférieur a
la faire descendre jusque sur les re in s1. Pour témoigner
plus de considération encore, l’usage est de
se prosterner. Un visiteur survenant dans une compag
n ie, celle-ci se lève pendant qu’il se découvre les
épaules, et l’invite à se couvrir et à s’asseoir. Si le
nouveau venu arrive de voyage, on lui fait laver les
1 Palestine, p. 383.
pieds1 et servir une collation. Il est dans la civilité de
lui demander des nouvelles de ses affaires et de le laisser
p a rle ra son aise sur tout ce qui l’intéresse, sans
l’interrompre. Quand le visiteur veut partir, il doit en
demander permission au maître du lieu qui fait des
efforts pour le retenir et ne le laisse jamais s’éloigner
sans le faire accompagner d’un de ses gens , quelquefois
même jusqu’à sa porte. Mais, chose tout à fait contradictoire,
si le maître de la maison est appelé par
une affaire, il ne craint pas d’en informer ses visiteurs,
et de les congédier sans aucun préambule.
Quand un Abyssin se prépare à prendre la médecine
du cosso contre le ténia, maladie générale dans le
p ay s, il envoie prévenir ses amis, afin de suspendre
toute visite de leur p a rt; quand la médecine a opéré
son effet, il renouvelle la politesse.
Un Abyssin ne quitterait jamais une ville sans en
faire part à tous ses amis, et il n’y manque pas davantage
au retour : mais alors chacun d’eux lui renvoie,
avec son messager, un serviteur pour le complimenter
et lui apporter quelques provisions de bouche.
Quand un enfant n a ît, les amis du père envoient
des provisions pour l’accouchée ; ils en envoient
aussi pour le repas de noces; enfin la pratique des
petits cadeaux est le fond essentiel de la manière
de vivre des Abyssins ; ils la mettent en usage à chaque
occasion saisissable. Il s’établit ainsi des communautés
amicales qui remplacent, en maintes circonstances,
les avantages d’une association plus régulière.
' Palestine, p. 382, t. II.